Article publié sur lemonde.fr, le 16/11/2010
Selon le document publié le 16 novembre par l’Union syndicale des magistrats, les professionnels de la justice traversent actuellement une profonde crise juridique, morale et financière.
Locaux dégradés, personnel débordé, économies de bouts de chandelles et budgets épuisés dès juillet : la « pauvreté » de la justice « n’est pas un leurre », constate l’Union syndicale des magistrats (USM) dans son Livre blanc 2010 sur l’état de la justice en France. Le document est paru mardi 16 novembre, au lendemain d’une journée de blocage de prisons par les syndicats pénitentiaires, le jour de la passation de pouvoir au ministère de la justice entre Michèle Alliot-Marie et Michel Mercier.
Ce dernier a aussitôt promis d’être à l’écoute des magistrats et des autres acteurs de la profession : « Je veux être celui qui, comme je crois l’a fait Michèle Alliot-Marie, accueille tout le monde, écoute tout le monde. (…) Les réformes suscitent des interrogations, c’est tout à fait normal. (…) C’est vrai que les magistrats ont besoin de considération et j’entends les considérer. » Michel Mercier aura pourtant fort à faire pour rassurer la profession, à la lecture des conclusions du document.
UNE CRISE JURIDIQUE, MORALE ET FINANCIÈRE
Neuf mois de visites dans plus de 165 juridictions « nous ont permis de confirmer l’existence dans la magistrature d’une profonde crise », écrit en introduction le président du premier syndicat de magistrats, Christophe Régnard. La crise est selon lui juridique, avec l’avalanche de réformes ces dernières années (carte judiciaire, tutelles, pôles d’instruction…), « souvent sans cohérence les unes avec les autres », mais aussi morale, « liée à l’absence de reconnaissance de notre travail », et financière, « conséquence d’un budget notoirement insuffisant ».
Depuis des années, « les budgets sont annoncés en hausse (…) et pourtant, jamais les juridictions n’ont été à ce point en état de quasi-faillite », constate le Livre blanc de l’USM, dont les précédentes éditions remontent à 1989, 1998, 2002 et 2003. Si des efforts sont consentis, ils sont « largement insuffisants » pour « rattraper les retards du passé et faire face à des missions en hausse », selon le syndicat, qui note une augmentation très sensible des recours à la justice.
Et si les juridictions fonctionnent, c’est bien souvent au prix d’une gestion acrobatique de la pénurie et de « choix drastiques », selon l’USM, qui déplore un inévitable allongement des délais de traitement des affaires. Censé améliorer le fonctionnement des tribunaux, le lancement d’un nouveau système informatique (Cassiopée) s’est au contraire traduit par une aggravation des retards dans le traitement des dossiers.
RATS, SEAUX ET FIENTES DE PIGEONS
Quant aux « problèmes matériels très concrets » rencontrés au quotidien par « les personnels, collaborateurs de justice et justiciables » (pièces exiguës partagées par quatre ou six personnes, odeurs nauséabondes s’échappant des sanitaires, bureaux sans fenêtre ni air, juridictions inaccessibles aux personnes handicapées…), « ils pourraient faire sourire s’ils ne démontraient pas l’état déplorable de l’institution judiciaire ».
Le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence, par exemple, est « accueilli provisoirement depuis trente-et-un ans dans une ancienne clinique ». Dans celui de Digne-les-Bains, « les volets de la salle d’audience sont fermés en permanence, car ils servent à maintenir les arches des fenêtres ». A Béthune ou à Grenoble, « les seaux sont indispensables » en cas de pluie. A Avesnes-sur-Helpe, il y a des rats dans l’immeuble des scellés. A Reims, « il arrive que des fientes de pigeon tombent sur la table autour de laquelle la cour d’assises délibère, à travers une verrière dont des vitres manquent ».
L’USM regrette aussi que, même récents, certains tribunaux aient été mal conçus ou souffrent de malfaçons. Quant aux fournitures de bureau, photocopieuses ou fax, l’USM n’a pas eu de mal à trouver des preuves de l’insuffisance des budgets de fonctionnement, qu’on « gratte jusqu’à l’os », entre les post-it découpés, les stylos usagés restitués pour en obtenir des neufs, les pénuries récurrentes de papier, toner et encre. Sans parler du chauffage et de la climatisation.