Analyse. L’ampleur du mouvement de blocage des établissements pénitentiaires traduit le mécontentement de personnels en manque de considération. Un paradoxe alors que, d’un strict point de vue social, la situation s’est améliorée.
LE MONDE | | Par Jean-Baptiste Jacquin
Analyse. L’ampleur du mouvement de protestation des surveillants pénitentiaires a surpris. De fait, l’élément déclencheur, l’agression de trois surveillants dans la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), jeudi 11 janvier, par un détenu armé d’une paire de ciseaux à bouts ronds et d’un couteau à beurre, avait un niveau de gravité relativement bas au regard des irruptions de violence qui émaillent tristement la vie carcérale. S’il y a toujours une part de stratégie syndicale, voire électorale, dans la façon de monter en épingle un événement plus qu’un autre, la réponse du terrain ne trompe pas sur l’état du climat social dans les prisons.
Les surveillants n’ont pas le droit de grève mais ont de nombreux moyens de gripper une organisation toujours proche du point de rupture : retards de 10 à 15 minutes des prises de service, barrage mené par des surveillants en repos et des délégués syndicaux afin d’empêcher la venue des intervenants extérieurs, avocats et familles, et la sortie des détenus pour un procès ou une audience avec un juge. Ils sont parvenus à perturber à des degrés divers le fonctionnement de 139 établissements pénitentiaires, lundi 15 janvier, et 96, mardi 16, sur les 188 que compte le pays.
Les négociations ouvertes à la hâte mardi soir par le directeur de l’administration pénitentiaire, Stéphane Bredin, avec le syndicat majoritaire, l’UFAP-UNSA, et la CGT pénitentiaire sur les questions de sécurité pourraient permettre de débloquer la situation. Mais le fond du malaise reste. C’est le pari que fait le troisième syndicat de surveillants, FO pénitentiaire, le plus dur aujourd’hui et le seul à avoir voulu imposer les questions de rémunération et de statut à une plate-forme commune de revendications qui n’a pas vu le jour.
Paradoxe
Au sujet de la sécurité des personnels, des progrès peuvent être accomplis notamment avec la fourniture de meilleurs équipements pour les surveillants affectés aux quartiers d’isolement destinés aux détenus particulièrement signalés, aux quartiers pour détenus violents ou aux quartiers disciplinaires. Les réponses sur la prise en charge des détenus engagés dans une radicalisation islamiste seront moins immédiates. La montée en charge des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) promise par la garde des sceaux Nicole Belloubet devrait être confirmée, mais la question d’établissements de haute sécurité réservés à ces détenus ne devrait être tranchée que dans le cadre du plan pénitentiaire global réclamé par Emmanuel Macron pour la fin février.
Le paradoxe de la tension actuelle est que, d’un strict point de vue social, la situation s’est améliorée. Le nombre de postes vacants est en baisse après des promotions records sorties de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire. Avec 26 105 surveillants, le taux de couverture est aujourd’hui supérieur à 95 %. Les accords de revalorisation des statuts négociés en 2016 avec Jean-Jacques Urvoas, alors ministre de la justice, commencent à produire leurs effets.
Un effort avait été fait en direction des grades intermédiaires afin de faire émerger un corps d’officiers. De quoi renforcer les structures intermédiaires de management face à des surveillants de plus en plus jeunes et inexpérimentés et encourager les évolutions de carrière. La rémunération des surveillants « de base » n’a, elle, guère bougé. « Nous devons renforcer l’attractivité des métiers pénitentiaires », a affirmé lundi Nicole Belloubet. Ses prédécesseurs ne disaient pas autre chose…
La « tradition coûteuse du dialogue social »
Mais l’opinion ne s’intéresse guère à ses prisons et les laisse dans le piège d’injonctions contradictoires, avec une demande de sévérité croissante de la justice et en même temps le refus de voir un établissement carcéral s’installer près de chez soi. Sans parler du fantasme des « prisons cinq étoiles ». Le résultat est connu. La France souffre d’une surpopulation carcérale chronique dans des établissements mal entretenus, synonymes de conditions de travail dégradées et de conditions de détention indignes, génératrice de violences. Nos prisons sont ce que l’on veut qu’elles soient, un lieu où l’on préfère oublier ceux qui y sont, derrière les barreaux ou devant.
Dans ce jus prospère un syndicalisme particulièrement dur, souvent qualifié d’archaïque à la chancellerie. Avec une étonnante division qui va jusqu’à opposer sur certains sujets une même famille comme le syndicat FO des surveillants et son homologue FO des directeurs pénitentiaires. Un syndicalisme qui n’a pas réussi à avoir des améliorations équivalentes à ce que les syndicats de policiers ont obtenu sur les rémunérations ces quinze dernières années.
La Cour des comptes avait fustigé, au printemps 2016, une « tradition coûteuse du dialogue social » dans l’administration pénitentiaire, avec des ministres qui avaient préféré acheter la paix sociale en offrant des avantages aux représentants syndicaux plutôt qu’en se préoccupant de l’organisation du travail des surveillants. Or, dans le quotidien, ces hommes et ces femmes sont souvent laissés seuls, ici à endurer les insultes et les crachats voire des coups, là à décider de fermer les yeux sur une infraction afin de « gérer » la détention. Un taux d’absentéisme très supérieur à la moyenne révèle des personnels en manque de considération.
On peut s’étonner que le président de la République ait demandé un plan global pénitentiaire et non la garde des sceaux, occupée à ses chantiers de la justice. Il est opportun que les deux sujets soient abordés de front. Car c’est la justice qui envoie par dizaines de milliers des personnes en prison pour quelques mois alors qu’il est avéré que les courtes peines ne sont d’aucun bénéfice. La durée moyenne de détention était, en 2016, de moins de dix mois.