Article de Guillaume Perrault paru sur leFigaro.fr le 13 mai 2010
La réforme de la justice, qui est à l’ordre du jour, risque de le rester. Intervenant devant le congrès de l’Union des jeunes avocats, à Bordeaux, Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux, a reconnu hier que la suppression du juge d’instruction et la refonte du Code de procédure pénale – annoncées par Nicolas Sarkozy en janvier 2009 et censées jusqu’ici entrer en vigueur à la mi-2011 – pourraient ne pas intervenir avant la présidentielle de 2012.
La ministre de la Justice a admis «un certain nombre de difficultés» et les a attribuées à «l’encombrement du calendrier parlementaire». Michèle Alliot-Marie a ajouté que, en pareil cas, «certaines parties» de la réforme seraient dissociées des autres pour permettre leur entrée en vigueur avant 2012. La garde des Sceaux s’est refusée à en dire plus. Toutefois, voilà huit jours, le président du Sénat, Gérard Larcher, avait pronostiqué que seules les dispositions relatives à la garde à vue seraient séparées des autres et soumises au Parlement dès l’an prochain. Le gouvernement envisage de renforcer les droits des suspects et de retirer au parquet le soin de contrôler les gardes à vue. Cette mission serait alors confiée à l’actuel juge des libertés et de la détention, qui serait rebaptisé «juge de l’enquête et de la détention».
Les déclarations de Michèle Alliot-Marie interviennent huit jours après que Nicolas Sarkozy a laissé entendre aux députés et aux sénateurs UMP, successivement reçus à l’Élysée, qu’il ne considérait plus la réforme de la procédure pénale comme une priorité de la fin de son quinquennat. «Pour moi, l’essentiel, c’est la sécurité, l’emploi, la crise, l’agriculture, la gestion des déficits et l’international», avait argumenté le chef de l’État.
À ces considérations politiques s’ajoute une difficulté d’ordre institutionnel. Depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, le gouvernement ne dispose plus que de deux semaines par mois pour inscrire ses projets de loi à l’ordre du jour des assemblées. Les deux semaines restantes sont consacrées par l’Assemblée et le Sénat aux travaux de leur choix. Le temps disponible pour l’examen des projets de loi diminue donc, sans que le nombre des textes à adopter décroisse pour autant. Des choix cornéliens s’imposent ainsi pour l’exécutif.
L’annonce de Michèle Alliot-Marie traduit aussi la difficulté de réformer en profondeur la procédure pénale. Supprimer le juge d’instruction implique de confier au parquet la conduite des enquêtes et d’assurer une égalité des armes entre le ministère public et la défense sous l’arbitrage d’un juge neutre. Les syndicats de magistrats voient dans ce projet une remise en question de l’indépendance de la justice, arguant que le parquet est placé sous l’autorité hiérarchique du garde des Sceaux.
Les représentants des avocats, pour leur part, qui ont réclamé à cor et à cris la suppression du juge d’instruction pendant des années, se montrent beaucoup plus partagés au moment même où ils paraissaient en mesure d’obtenir satisfaction. Assuré de mécontenter les milieux judiciaires sans bénéficier du soutien d’aucun groupe d’intérêt, l’Élysée préfère temporiser et attendre des jours meilleurs. Le juge d’instruction a donc au moins gagné un sursis.