Nièvre : un institut forme les aumôniers musulmans qui interviennent en prison

« C’est un travail formidable mais pas encouragé. » Ammar Maireche, 30 ans, est en formation dans la Nièvre pour devenir imam et aumônier. Il aimerait intervenir en prison face au problème de la radicalisation, même si le manque de moyens n’encourage pas les vocations.

Pourquoi les aumôniers n’arrivent-ils pas à vivre de leur travail ?

A Saint-Léger-de-Fougeret, l’Institut européen des sciences humaines (IESH)accueille environ 220 étudiants, hommes et femmes, venus de toute l’Europe pour apprendre l’arabe et la théologie musulmane.
Chaque année, une dizaine d’entre eux deviendront imams et quelques uns aumôniers, au terme d’un cursus de sept ans.

« Vivre seulement avec le travail d’aumônier, tout le monde sait que c’est impossible », souligne un étudiant en 4e année, originaire de Haute-Savoie.
Pourtant, la radicalisation de certains détenus en prison est un « problème réel ». Pour lui, la responsabilité est « partagée » entre la communauté musulmane qui doit transmettre un islam pacifique, les politiques qui devraient créer plus de postes et les médias qui forcent trop le trait à ses yeux.

Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, auteurs des attaques des 7 et 9 janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher à Paris, et plus récemment le tireur de Copenhague Omar El-Hussein, auraient basculé dans l’islam radical en prison.

Pour lutter contre ce phénomène, le gouvernement a annoncé le recrutement de 60 aumôniers musulmans supplémentaires en prison et la création de cinq « quartiers » pour isoler les détenus radicalisés.

Comment lutter contre la crise des vocations ?
Plus facile à dire qu’à faire, pour le directeur de l’IESH, Zuhair Mahmood : « On est arrivé à saturation », dit-il, « notre capacité est de sortir cinq à dix imams par an, on ne peut pas faire plus ». D’autant que « l’aumônier doit être mieux formé que l’imam car la prison, c’est le plus dur, c’est là où il y a le plus de nécessité d’apaiser. »

Dans cette école de la Nièvre, les journées sont rythmées par les cours et les appels à la prière. Une large baie vitrée éclaire la salle de culte, où les hommes vêtus pour certains d’une djellaba prient au rez-de-chaussée et les femmes, portant le voile, à l’étage.

Gestionnaire de l’IESH et aumônier en prison depuis 1997 à Nevers et Moulins, Jean-Jacques Pierre-Joseph, un converti de 42 ans, déplore une « crise des vocations » due notamment au bénévolat de cette activité et à la « pénurie » de personnels.
En France, 182 aumôniers musulmans exercent pour plus de 200 établissements pénitentiaires.

Quel est le rôle d’un aumônier de prison ?

En prison, l’aumônier a « un rôle théologique mais aussi une dominante sociale, une écoute comme pourrait le faire un psychologue », souligne Jean-Jacques Pierre-Joseph. Car « parmi les racines de la radicalisation, il y a des éléments sous-jacents comme l’instruction, l’économie, des frustrations et des stigmatisations. La radicalisation, c’est un positionnement contre un système, plus que des idées religieuses qui sont véhiculées », estime-t-il.

Face à cela, « il ne faut pas avoir peur de la confrontation, il faut provoquer le dialogue ». « Il faut travailler en profondeur et provoquer quelques fois des questions qui fâchent pour les régler », affirme l’aumônier.

Dans la Nièvre, à l »institut européen des sciences humaines de Saint-Léger-de-Fougeret, on apprend notamment à replacer les versets du Coran dans leur contexte historique et à ne pas les prendre au pied de la lettre.

Les prisons doivent-elles créer des quartiers dédiés aux radicaux ?

Jean-Jacques Pierre-Joseph est en revanche « tout à fait opposé » à des quartiers dédiés aux radicaux en prison, qui seraient une « stigmatisation » de plus pour les musulmans : « On ne peut pas dire que l’on veut réinsérer les gens dans la société tout en les mettant dans la marge ».

Lors d’une visite à l’ONU le 10 février 2015, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a estimé que la prison était « un des terreaux » de l’extrémisme mais « pas le lieu principal de radicalisation ». « Seize pour cent seulement », selon elle, des personnes condamnées pour des actes de terrorisme avaient des antécédents judiciaires.

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