L’émission du 22 janvier dernier sur les violences en prison a révélé une réalité inquiétante. Au fur et à mesure qu’une politique assez efficace a réussi à faire baisser ces dernières années l’arbitraire de l’administration pénitentiaire, les violences de toute nature entre détenus s’accroissent dangereusement.
Il n’y a pas que les violences physiques ou psychologiques : elles sont aussi morales. On songe notamment aux pressions exercées par les islamistes radicaux sur leurs congénères. C’est une influence non plus sur les libertés dans un sens abstrait mais sur le « mode de vie » c’est-à-dire l’habillement, les gestes de la vie quotidienne (la douche, la musique qu’on écoute, les programmes de télévision). L’insécurité qui règne en prison est peut-être pire que celle qui règne dehors car victimes et bourreaux sont enfermés ensemble, parfois 23 heures sur 24 dans quelques mètres carrés ! L’enfer, c’est les autres ! La violence ne vient pas que de manière verticale de l’État, elle vient aussi de manière horizontale, des autres.Le témoignage d’un ancien détenu, interviewé dans l’émission, était à cet égard très éloquent :
« Il y a trente ans, il nous arrivait souvent d’avoir faim. Je vous laisse imaginer la famille qui vient au parloir avec du saucisson ou du chocolat caché dans les vêtements. Il n’y avait pas encore le fléau de la drogue, donc de l’argent car à cette époque elle n’entrait tout simplement pas dans les prisons. Mon premier souvenir est donc la faim et la promiscuité : trois ou quatre par cellule avec des seaux qui servent de latrines. Aujourd’hui les conditions de vie se sont améliorées : on a la télé avec 200 chaînes, des WC individuels, c’est beau, c’est propre, comme vous voyez à la télé.Par contre, ce qu’on appelait l’entraide de misère n’existe plus. Les détenus se regroupaient autour de revendications de droits, droit à pouvoir manger, à avoir des conditions de détention décentes. Désormais il n’y a plus de désir mais uniquement une routine où le temps est minuté. On ne vous demande pas de réfléchir ou de faire, on vous demande d’écouter et de suivre. »
Ce qu’il faudrait changer ?
« Le détenu, répond-il. On a déjà essayé de changer les murs, ça n’a pas marché. On a essayé de changer l’institution en donnant une tonne de lois supplémentaires, avec des surveillants de plus en plus encadrés mais on n’a pas changé la mentalité du détenu qui évolue avec son temps. On est dans une société beaucoup plus violente que dans les années 1990 ou 1980. D’autre part, beaucoup de détenus se victimisent. Dès leur sortie ils doivent se réinsérer dans une société qui ne veut pas nécessairement d’eux. »
La logique des années 1980, c’était tous contre un, contre l’État ; aujourd’hui c’est le retour à la guerre de tous contre tous. On ne trouve plus cette solidarité de la misère ou l’esprit de révolte comme il y a une trentaine d’années. Les liens en prison se font sur une forme communautariste, individualiste, violente, prédatrice : si l’on n’a pas de quoi payer, on paie de sa personne comme larbin, voire comme objet sexuel.La prison est à bout de souffle : le vide qui taraude nos démocraties est porté à son comble et les réponses par l’argent ou la religion, le néolibéralisme ou le communautarisme sont elles aussi paroxystiques en prison.Le sens de la peine se limite à l’enfermement, à sa sécurisation, à ses garanties et à l’éradication de toute violence (tâche qui reste à accomplir). Mais tout cela donne-t-il un sens à la peine ? La question que nous pose brutalement la prison est : « que faisons-nous ensemble ? » Introuvable sens de la peine dans une société elle-même en peine de sens.La gestion du défi de la radicalisation illustre cette impasse : la seule réponse à ce risque, c’est d’enfermer les islamistes radicalisés ensemble, c’est-à-dire de reproduire la logique folle de l’enfermement jusqu’à créer une prison dans la prison, une sorte de mitard spirituel, en recrutant les aumôniers pour faire un travail de contrôle et de transformation des individus qu’elle n’arrive plus à faire. Mais l’antidote à l’enfermement terroriste – car c’en est un autre –, ce n’est pas la fermeture mais au contraire l’ouverture au monde ; Camus l’avait déjà bien vu. Ce n’est donc pas seulement avec plus de droits, une meilleure formation des personnels que l’on changera la prison. Retrouver le sens de la peine, c’est prétendre réinscrire des hommes égarés dans le monde par le travail, par la parole, par le soin voire par l’art. Pas de les en exclure.
Antoine Garapon, docteur en droit, producteur de l’émission « Esprit de justice » sur France Culture