Les agressions de surveillants pénitentiaires par des détenus radicalisés à Mont-de-Marsan ou à Tarascon ont contribué à raviver le débat sur la lutte contre la radicalisation en détention.
La prison de Fleury-Mérogis, au sud de Paris, où Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos jihadistes qui ont attaqué Paris le 13 novembre 2015, est détenu.
Les récentes agressions de surveillants pénitentiaires par des détenus radicalisés à Mont-de-Marsan, ou encore à Tarascon, ont contribué à raviver le débat sur la lutte contre la radicalisation en détention, qui représente un défi majeur pour les pouvoirs publics. Elles révèlent les carences des mesures actuellement mises en œuvre, faute de véritable solution.
A la suite de la découverte d’un présumé projet d’attentat fomenté depuis Fresnes, Nicole Belloubet déclarait déjà, en octobre 2017, qu’il y avait « urgence » à lutter contre la radicalisation dans les prisons, en passant curieusement sous silence l’ensemble des efforts jusqu’ici vainement accomplis. Dans un communiqué du 25 janvier 2018, le ministère de la Justice prévoit le renforcement de la prise en charge des détenus radicalisés avec, entre autres, la création voulue de 1500 places dans des quartiers « totalement étanches ». Ces nouvelles promesses viennent s’ajouter à l’empilement des mesures prises depuis plusieurs années.
Peu de temps après les attentats de janvier 2015, le gouvernement de Manuel Valls présentait, le 21 janvier 2015, son plan de lutte contre le terrorisme (PLAT), en partie dirigé vers la lutte contre la radicalisation dans les établissements pénitentiaires. Il était décidé de créer cinq unités dédiées. Deux unités étaient destinées à l’évaluation des personnes détenues radicalisées (centre pénitentiaire de Fresnes et maison d’arrêt de Fleury-Mérogis). Trois autres unités (maison d’arrêt d’Osny, Fleury-Mérogis, centre pénitentiaire de Lille-Annœullin) étaient constituées pour prendre en charge ces personnes, après orientation en fonction du niveau de radicalisation. Ces établissements étaient essentiellement choisis en raison de leur proximité avec les juridictions parisiennes, centralisant les affaires de terrorisme en vertu d’une compétence concurrente de celle qui résulte du droit commun.
L’objectif était d’assurer une prise en charge adaptée des détenus radicalisés, ou en voie de l’être. Le regroupement était destiné à limiter tout prosélytisme ou toute cohabitation avec des détenus ne présentant aucun signe de radicalisation, sur le modèle de l’expérience menée dans le centre pénitentiaire de Fresnes. Des surveillants volontaires, spécialement formés, devaient y intervenir.
Dans son rapport de constat relatif à la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral du 11 juin 2015, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGPL), se disait défavorable aux quartiers dédiés. L’absence de cadre légal était notamment discutée, ce qui conduisait à l’intervention du législateur par la loi du 03 juin 2016 rebaptisant, du même trait, les unités dédiées « Unité(s) de prise en charge de la radicalisation » (UPRA).
Sans mésestimer la tâche des autorités publiques, le CGPL rendait un nouveau rapport en juin 2016, dans lequel il exprimait son scepticisme sur les mesures prises. Il soulignait les effets pervers du regroupement, le caractère discrétionnaire de l’affectation dans de telles unités, mais aussi ses effets stigmatisants pour la personne détenue.
Au vu des résultats très aléatoires de l’expérimentation, le gouvernement a finalement décidé d’une réorganisation du dispositif prévue dans un Plan d’action de Jean-Jacques Urvoas du 25 octobre 2016, en prévoyant le remplacement des « UPRA » par six quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER). En pratique donc, les quatre « UPRA » existant sont devenues des « QER » avec deux nouvelles ouvertures pour Bordeaux et Marseille. Après évaluation de leur éventuelle radicalisation, les personnes détenues doivent ensuite être réparties dans 27 établissements pénitentiaires sélectionnés. Le plan d’action prévoit également la création de six quartiers pour détenus violents (QDV).
Ce nouveau plan, qui prévoit la création d’UPRA, apparaît ainsi comme un simple rhabillage du dispositif existant, qu’il ne modifie pas structurellement en dépit des critiques émises à son encontre, et qu’il perpétue. Il participe aussi à conforter le caractère dérogatoire de ce qui touche au terrorisme. A ce plan, viennent désormais s’ajouter de nouvelles mesures pour la gestion des détenus radicalisés, annoncées à la fin du mois de janvier 2018, qui tendent vers toujours plus d’étanchéité, mais qui ne refondent pas un dispositif ayant déjà témoigné de son inefficacité.
La pratique montre notamment que toutes les orientations ne sont pas adaptées. Certaines personnes peuvent être détenues pour des faits de terrorisme (notamment parce qu’elles auraient fourni des armes sans adhérer au projet) sans pour autant présenter une quelconque radicalité. De plus, toutes les « radicalisations » ne se comparent pas et peuvent ainsi se mélanger, par les effets du regroupement, des personnes, qui ne seraient qu’influencées, avec des « têtes pensantes ». Le germe de radicalisation s’insinue en effet différemment selon les individus, plus ou moins passifs dans le phénomène.
La collecte du renseignement, qui tire avantage de ce droit pénitentiaire spécifique, prend le pas sur ce qui devrait prévaloir: à savoir un traitement individualisé et spécifique s’inscrivant dans l’optique de la réinsertion. En avril 2017, le Bureau central du renseignement pénitentiaire était ainsi créé, illustrant l’importance accrue du renseignement pénitentiaire au détriment d’autres aspects.
Non seulement le renseignement (pénitentiaire ou non), principalement en raison de son volume, n’est pas toujours efficacement traité (les révélations par la presse concernant l’attentant de Saint-Etienne-du-Rouvray en fournissent l’illustration) mais, plus encore, le renseignement ne peut pas toujours être traité dans un unique but coercitif. La collecte du renseignement ne peut donc constituer une finalité.
Que la société l’admette ou non, les personnes actuellement détenues et radicalisées seront à nouveau libres. Il sera matériellement impossible de les surveiller individuellement. Si le traitement spécifique de ces personnes ne s’est pas accompagné d’un suivi réel à des fins de réadaptation, il n’aura fait que nourrir le cercle vicieux de la radicalisation sans y apporter de remède.
Il est un fait indéniable que les pouvoirs publics, à tout le moins depuis janvier 2015, ont pleinement pris conscience de l’ampleur du problème de la radicalisation en détention. Elles se heurtent cependant à un obstacle moral qui a trait à leur incapacité de voir en ces détenus des personnes réadaptables.
Naima Rudloff, avocate générale près la cour d’appel de Paris et chef du service de l’action publique antiterroriste et atteinte à la sûreté de l’État a récemment déclaré: « sur la radicalisation en prison, nous n’avons pas la solution ». Cette solution, nous devrons pourtant la trouver, sauf à faire l’aveu indirect de notre inaptitude à « déradicaliser » et, par la même, à avouer nos valeurs vaincues.
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