Prison ou réhabilitation?

Le gouvernement Harper continue de vouloir resserrer les lois régissant la criminalité et le système correctionnel, malgré toutes les critiques provenant des intervenants du milieu, qui affirment que le système s’affaiblit graduellement.

Un texte d’ Isabelle Maltais

Alors que les conservateurs disent s’inquiéter de la sécurité de la population et mettent de plus en plus de barrières à l’accès aux libérations conditionnelles des prisonniers, plusieurs s’inquiètent de voir cette « nouvelle philosophie » mettre en péril le principe qui était auparavant au cœur de l’incarcération : la réhabilitation.

Marion Vacheret, professeure de criminologie à l’Université de Montréal, craint notamment que le Canada devienne peu à peu un « État punitif », et que l’achalandage des prisons augmente, au moment même où des réductions budgétaires mènent les services correctionnels canadiens à diminuer la qualité des services offerts aux prisonniers.

Le projet de loi C-12 à l’étudeCette semaine, le projet de loi C-12 déposé par les conservateurs, qui vise à pénaliser davantage les détenus qui consomment alcool ou drogues, était à l’étude devant un comité parlementaire à Ottawa. Après avoir étudié le projet de loi article par article mardi prochain, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale devrait ensuite le renvoyer en Chambre.

Mais déjà avec l’adoption du projet de loi omnibus C-10 en mars 2012, et donc de la nouvelle Loi sur la sécurité des rues et des communautés, le gouvernement conservateur avait apporté des changements aux règles régissant la mise en liberté des prisonniers fédéraux (c’est-à-dire ceux condamnés à des peines de deux ans et plus), notamment en reconnaissant le rôle des victimes dans le processus de remise en liberté d’un prisonnier.

Ce « cumul de nouvelles lois » est dangereux pour la société, pense Joëlle Roy, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense et avocate criminaliste depuis 22 ans. Selon elle, rien ne justifie les strictes mesures prises par les conservateurs en matière de justice depuis leur arrivée au pouvoir à Ottawa, alors que le crime est en baisse et que la population carcérale explose.

La réhabilitation passe d’abord par des programmes offerts aux détenus à l’intérieur des murs de la prison, qui peuvent porter autant sur la gestion de la violence que sur les problèmes familiaux, la délinquance sexuelle ou les problèmes de consommation d’alcool ou de drogues. Ces programmes sont toutefois de plus en plus difficiles à obtenir pour les détenus, indique Howard Sapers, l’enquêteur correctionnel (ou ombudsman) du Canada.

Le programme conservateur en matière de justice, en rendant plus difficile l’obtention d’une libération conditionnelle, a créé un cercle vicieux explique-t-il. Parce qu’il y a de plus en plus de détenus emprisonnés, les listes d’attente pour les programmes s’allongent, ce qui retarde le moment où les détenus peuvent suivre les formations dont ils ont besoin pour cheminer.

En même temps, pour se voir accorder une libération conditionnelle, il faut absolument que les détenus aient atteint tous les objectifs fixés dans leur plan correctionnel, qui comporte souvent le suivi de programmes de réhabilitation. Les détenus n’ayant pas obtenu leur formation à temps ne sont donc pas admissibles à une libération, ce qui les oblige à rester en prison, gonflant les listes d’attente. Et la roue tourne ainsi à mesure que les règles permettant d’accéder à une libération conditionnelle se durcissent.

En fait, selon les chiffres du rapport annuel 2013-2014 du Bureau de l’enquêteur correctionnel, 71 % de toutes les libérations survenues cette année-là étaient des libérations d’office, donc rendues obligatoires par la loi après que les détenus ont purgé les deux tiers de leur peine.

Les services correctionnels ont donc vu une augmentation de 10 % de ce type de libération en 10 ans, contre un déclin de 14,6 % des semi-libertés et de 40 % des libérations conditionnelles totales au cours de la même période.

La semi-libertéAfin de préparer le détenu à la libération conditionnelle totale, la CLCC peut d’abord accorder la semi-liberté, généralement pour une période maximum de six mois. La semi-liberté donne la possibilité au détenu de participer à des activités sous surveillance dans la collectivité, mais l’oblige, à moins d’une autorisation spéciale, à retourner chaque soir dans un établissement correctionnel ou une maison de transition.

La libération conditionnelle totale

La majorité des détenus peuvent demander une libération conditionnelle totale après avoir purgé le tiers de leur peine. Elle signifie que le prisonnier peut aller purger le reste dans la collectivité, mais sous surveillance. Ainsi, le détenu en libération conditionnelle totale doit se présenter régulièrement à un surveillant de liberté conditionnelle et l’informer de tout changement important dans sa vie personnelle ou professionnelle.

La libération d’office

La plupart des détenus bénéficient automatiquement de la libération d’office après avoir purgé les deux tiers de leur peine. Ils doivent alors, jusqu’à la fin de leur peine, se soumettre à certaines conditions précises et à la surveillance d’un agent de liberté conditionnelle.

De meilleurs résultats dans la communauté

Howard Sapers regrette cet allongement de la période que passent les détenus en prison, tout comme Marion Vacheret, qui dit ne pas comprendre pourquoi le gouvernement veut voir les détenus « à tout prix en dedans ».

Tous les deux soulignent qu’il a été prouvé par plusieurs études que les réinsertions sociales avaient un taux de réussite supérieur lorsque le détenu avait passé plus de temps sous surveillance dans la communauté avant la fin de sa peine, donc en libération conditionnelle.

« Nous devons utiliser le savoir que nous avons acquis. »— Howard Sapers

Tous les deux soulignent également que ce resserrement des règles régissant les libérations conditionnelles témoigne d’un manque de confiance du gouvernement envers les membres de la Commission de la libération conditionnelle, qui décide du retour des détenus en communauté après un examen approfondi de leur situation.

Selon Marion Vacheret, cette évaluation est rigoureuse. À la limite presque trop, indique-t-elle.

« Il n’y a pas trop de gens qui sortent en libération. »— Marion Vacheret

Quant à l’enquêteur correctionnel canadien, il demande que l’on accorde les ressources nécessaires à une bonne supervision en dehors des murs des pénitenciers, ce qui permettrait, en plus de favoriser la réhabilitation, de faire baisser les coûts du système.

« La liberté conditionnelle est supervisée. Elle peut être révoquée. Ce n’est pas une marche dans le parc. Et pour un détenu, c’est une grande motivation pour éviter la récidive. »— Howard Sapers
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