La prison faisait partie des priorités de la garde des Sceaux. Un an après sa prise de fonction, les personnels pénitentiaires et l’opposition lui reprochent son désintérêt pour la question. Qu’en est-il réellement? BFMTV.com fait le point.
« Christiane Taubira est trop occupée par le mariage pour tous pour s’intéresser à la prison et à ses personnels ». Cette phrase, prononcée le lendemain de l’évasion du braqueur Rédoine Faïd, a pour auteur Stéphane Jacquot, secrétaire national de l’UMP en charge des prisons. Et pour écho la grogne des surveillants de la prison de Sequedin, qui dénoncent depuis un mois le manque de sécurité dans leur établissement et entament mardi une nouvelle action.
Pourtant, la ministre de la Justice avait fait de la question pénitentiaire une de ses priorités. Dès septembre 2012, elle dévoilait en Conseil des ministres ses intentions en matière carcérale et fustigeait « l’héritage » de la droite face aux problèmes cumulés de surpopulation, de vétusté et de récidive persistants. Un an après sa prise en fonction, BFMTV.com fait le point sur l’avancée de ce dossier.
> Une politique pénale en rupture avec le « tout-carcéral »
Dès le 18 septembre, Christiane Taubira transmettait aux parquets ses nouvelles orientations en matière de politique pénale. Le mot d’ordre: rompre avec le « tout-carcéral » qui avait caractérisé la politique du gouvernement précédent, dans le but de désengorger les prisons. Fin 2012, le taux de suroccupation des établissement pénitentiaires atteignait en effet 67.700 détenus, soit un taux d’occupation de 119%.
Parmi les consignes de la Chancellerie: « limiter le recours à l’incarcération aux situations qui l’exigent strictement », et « faire de l’aménagement des peines d’emprisonnement une priorité » en les faisant davantage prononcer par les tribunaux lors du jugement et non plusieurs mois après, comme c’est actuellement le cas, par un juge d’application des peines.
> La limitation de l’augmentation des places de prison
En cohérence avec sa volonté de désengorger les prisons, la ministre annonçait dans la foulée la limitation de l’augmentation des places au sein des établissements pénitentiaires. Le 28 septembre, elle annonçait ainsi le passage de 57.400 à 63.000 places de prison en cinq ans. Soit 17.000 places de moins que l’objectif affiché par le gouvernement précédent, qui prévoyait 80.000 places de prison à l’horizon 2017.
> Le flou sur la question de la vétusté
Mi-novembre, le Contrôleur général des prisons dressait un constat accablant sur les conditions de détention à la prison des Baumettes, à Marseille: cafards, crasse, ampoules électriques cassées dans certaines cellules faisaient partie du quotidien des détenus. Le 6 décembre, la ministre de la Justice déplorait sur notre antenne d’avoir « hérité d’un parc pénitentiaire en mauvais état ».
Christiane Taubira indiquait que des travaux de restructuration avaient été engagés aux Baumettes, ainsi qu’à la prison de Nouméa où le contrôleur général des prisons avait émis une alerte similaire fin 2011. Elle reconnaissait toutefois que « pour les établissements mal conçus, les restructurations sont compliquées et difficiles » à mettre en œuvre.
> Une mission de lutte contre la récidive
Le 20 février, un groupe d’experts remettait à Jean-Marc Ayrault un rapport commandé dès septembre par la ministre, contenant douze recommandations pour lutter contre la récidive, moyen d’endiguer la surpopulation carcérale. Parmi celles-ci, la création d’une « peine de probation » permettant au juge de prononcer un certain nombre de contraintes lourdes à la place d’une peine de prison.
La « conférence de consensus » préconisait également la dépénalisation de certains petits délits et la fin des peines planchers, peines de prison automatiques en cas de récidive, pour les délits d’atteintes au bien. « Des peines souvent courtes qui empêchent un vrai travail de réinsertion et sont un cocktail idéal pour la récidive », justifiait Christiane Taubira le 21 février dans un entretien au Parisien.
Dans ce même esprit de réinsertion, le groupe de travail préconisait également la fin des sorties « sèches » de détenus, c’est-à-dire sans aménagement de peine en amont de leur libération.
> Des mesures qui se font attendre
À la remise de ce rapport, qui venait concrétiser les orientations de politique pénale émises par Christiane Taubira dès le mois de septembre, la ministre promettait la présentation d’un projet de loi « avant le mois de juin ».
Mais le 30 avril, lors de l’inauguration d’un centre pénitentiarie à Alençon, la garde des Sceaux faisait part de son souhait de faire aboutir seulement « avant la fin de l’année » la réflexion sur la création de la peine de probation et des mesures alternatives à l’incarcération. Sur le site du ministère de la Justice était également annoncée la rédaction de plusieurs textes « dans les prochains mois ».
> Quid de la sécurisation des prisons?
Après l’évasion de Rédoine Faïd, Christiane Taubira indiquait via le site justice.gouv.fr que le « taux d’évasion » en France était « un des plus faibles d’Europe ». Elle énumérait également les mesures mises en place depuis sa nomination sur la sécurisation des prisons, comme l’instauration de portiques plus performants, la sécurisation des abords des établissements, ou encore l’amélioration de la prise en charge des détenus particulièrement surveillés.
Insuffisant, ont jugé au début du mois les syndicats de surveillants pénitentiaires. Le 6 mai, jour du premier blocage de la prison de Sequedin, le représentant de l’Ufap-Unsa Justice indiquait que « des travaux de sécurisation des parloirs [leur]étaient promis depuis plusieurs mois », sans réalisation concrète. Quant au syndicat FO pénitentiaire, il estimait dans un billet très remonté contre la ministre que les mesures de sécurisation mises en place n’étaient que « foutaises ».
Depuis, la protestation des surveillants de Sequedin a été suivie par des actions similaires dans les prisons de Nancy-Maxéville et de Douai. Malgré ses ambitions affichées, la ministre aura donc fort à faire pour apaiser les représentants syndicaux, qu’elle doit rencontrer le 23 mai.
Mathilde Tournier