Article de Noémie Buffault paru sur Rue89 le 8 septembre 2011
Au centre de détention de Salon-de-Provence, un homme de 61 ans, incarcéré depuis cinq ans, était systématiquement soumis à une fouille à nu à l’issue de chacune de ses visites au parloir avec ses parents âgés de 77 et 81 ans.
Le détenu à la conduite irréprochable a obtenu la suspension de fouilles corporelles intégrales systématiques, le 19 août par ordonnance.
Plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, la France est le mauvais élève de l’Union européenne en matière de respect des pratiques de fouilles au corps. Elle n’est pas la seule : les Pays-Bas, la Lituanie et la Pologne ont également fait l’objet de condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme. Mais la France enregistre un nombre record de condamnations dans un court laps de temps.
Entre 2007 et 2011, la France a été condamnée trois fois pour « traitements inhumains ou dégradants ». Aucun autre pays de l’union européenne ne peut se targuer d’un tel palmarès.
En France, la loi a tardivement encadré la fouille corporelle. Il faut attendre 1986 pour voir une première circulaire apporter une description détaillée des modalités des fouilles intégrales. A cette époque, elle incluait une obligation de « se pencher tout nu et de tousser afin de provoquer la libération du sphincter, visant à découvrir d’éventuels objets introduit dans l’anus ».
La dernière circulaire relative aux moyens de contrôle des personnes détenues (avril 2011) exclut cette pratique, et interdit la systématisation de la fouille au corps.
La nouvelle procédure détaille ainsi la fouille au corps intégrale :
« L’agent demande à la personne détenue de passer la main dans ses cheveux et de dégager ses oreilles afin de vérifier que rien n’y est dissimulé. Le cas échéant, il demande à la personne détenue de retirer son appareil auditif.
Compte tenu du profil de la personne détenue ou de la situation, il peut lui demander d’ouvrir la bouche et de lever la langue ainsi que d’enlever, si nécessaire, la prothèse dentaire. Il effectue ensuite le contrôle des aisselles en faisant lever et baisser les bras avant d’inspecter les mains et lui demandant d’écarter les doigts.
L’entrejambe d’un individu pouvant permettre de dissimuler divers objets, il importe que l’agent lui fasse écarter les jambes pour procéder au contrôle. Il est procédé ensuite à l’examen des pieds de la personne détenue notamment de la voûte plantaire et des orteils. »
Le Comité de prévention de la torture (CPT) relevait dans son rapport de 2007 « qu’une fréquence élevée de fouilles à corps – avec mise à nu systématique – d’un détenu comporte un risque élevé de traitement dégradant ».
La loi pénitentiaire de 2009 n’abolit pas la fouille intégrale, mais tente de raréfier son usage. Sur le terrain, les fouilles corporelles intégrales et systématiques persistent pourtant dans de nombreux centres pénitentiaires.
Professeur de droit public à l’université de Caen et spécialiste des questions de dignité, Jean-Manuel Larralde évoque « un folklore pénitentiaire ».
Quelques fois, les pratiques abusives des fouilles sont des mécanismes détournés par l’autorité pénitentiaire pour casser les détenus. Le cas de monsieur El Shennawi, qui a engagé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour des fouilles corporelles répétées, est particulièrement éloquent : ce détenu a été fouillé jusqu’à huit fois par jour. A l’issue de cette procédure, la France a été condamnée.
Sur le terrain, les pratiques tardent à évoluer. Jean-Manuel Larralde souligne que la règlementation française en matière de fouilles est « incroyablement minutieuse et limitative », mais qu’il y a « un décalage énorme entre le droit et la pratique ».
Largement laissée à l’appréciation du directeur de l’établissement, la fouille corporelle est même devenue systématique dans certains établissements, comme le relève l’OIP.
Jean-Paul Garraud, rapporteur UMP du projet de loi pénitentiaire de 2009, mise sur les progrès techniques pour faire évoluer les pratiques :
« Les équipements électroniques sont de plus en plus répandus, notamment, bien entendu, dans les nouveaux établissements pénitentiaires. A terme, ils permettront certainement la suppression des fouilles intégrales. »
Maître Spinosi, avocat pour l’Observatoire international des prisons, indique néanmoins :
« Cela coûte très cher et tous les établissements ne sont pas également dotés. »