Malgré une très légère progression en juillet, la population carcérale a chuté de plus de 2 % sur un an.
Christiane Taubira, la garde des Sceaux, peut sans doute partir en vacances avec le sentiment du devoir accompli. Depuis le début de l’année, tous les indicateurs de la population pénale sont à la baisse.
Le nombre de détenus – qui est au 1er juillet de 66 874 – a chuté de 2,1 %, sur un an, soit 1600 individus de moins par rapport à l’année dernière, à la même époque. Aux mois de janvier et février, cette baisse n’était encore respectivement que de 1,2 % et de 1,7 %. Mais en mars, elle passait allègrement la barre des 2 % et depuis le mois d’avril, ce n’est que l’épaisseur du trait qui la sépare des 3 %.
Sur les sept premiers mois de l’année, la population sous écrou – elle comprend les détenus comme les condamnés exécutant des peines en milieu ouvert – ne cesse de diminuer. Timide au mois de janvier (- 0,8 %), elle chutait de 1,7 % en février, de 2,2 % en mars, de 2,8 % en avril, de 2,9 % en mai, de 3,2 % en juin et de 2,8 % en juillet.
Autrement dit, prison ou peine de substitution, on punit moins en France en 2015. Car depuis le mois de mars, ce sont même les chiffres du «milieu ouvert» qui diminuent. Au 1er juillet, les placements extérieurs en foyer ainsi que le nombre de bracelets électroniques chutaient respectivement de 16,5 et 6 %. Il en est de même du nombre des aménagements de peine, censés éviter «les sorties sèches» de prison et permettre la réinsertion progressive des délinquants. Ces aménagements diminuent de 5,2 %. Or tout l’argumentaire de Christiane Taubira pour justifier de vider rapidement les prisons reposait sur l’accroissement de ces peines alternatives, permettant de mieux suivre les individus et de les sortir de la spirale de la délinquance. En passant, un an après le vote de la loi, l’Observatoire de la récidive qui figurait dans le texte n’a toujours pas rendu de conclusions… faute d’avoir été créé. Autant dire que la Chancellerie navigue à vue en ce qui concerne les résultats de la politique pénale qu’elle a mise en place. Cette évolution baissière de la population pénale est d’autant plus surprenante qu’à l’inverse, les chiffres de la délinquance sont en hausse – excepté ceux des vols avec violence. Face à cette étrangeté statistique, Dominique Raimbourg, le député PS de Loire-Atlantique qui a porté la réforme pénale de Christiane Taubira durant une longue discussion parlementaire, rappelle benoîtement qu’«il est impossible de croiser les chiffres policiers et ceux de la justice. Nous sommes dans un grand dénuement statistique», affirme-t-il prudemment.
Si la cohérence statistique manque, ces chiffres montrent en revanche que la réalité pénale est bien dans les clous de la politique voulue par la Chancellerie. Depuis son arrivée Place Vendôme, la ministre de la Justice n’a cessé de dénoncer le rôle contre-productif de la prison, qu’elle considère comme l’école de la délinquance et de la récidive. À ce titre, la réforme pénale votée en août 2014 a mis en place la contrainte pénale qui permet, pour tous les délits dont la peine encourue est inférieure à cinq ans, de proposer une alternative à la détention faite d’obligations et d’un suivi accru des services pénitentiaires du milieu ouvert. De même, la loi oblige-t-elle à un examen aux deux tiers de peine permettant des libérations sous contrainte. Enfin, elle met fin aux peines planchers et à la révocation automatique des sursis simples et avec mise à l’épreuve en cas de réitération ou de non-respect des obligations. Tout un dispositif visant donc à éviter ou réduire la détention. Lors de son élaboration tout au long de l’année 2013, le projet de loi avait fait souffler un vent d’espoir sur les détenus français qui avaient alors surnommé «Liberator» la conseillère particulière de la ministre de la Justice pour la réforme pénale. Pour autant, les taux de surpopulation carcérale ne suivent pas la même tendance. En région parisienne, les patrons d’établissements pénitentiaires avouent jusqu’à 180 % voire 200 % de densité. En revanche, le nombre de matelas au sol, qui sont de l’ordre d’un millier, continue de diminuer de l’ordre de 15 % sur un an. «La population carcérale baisse mais le fait d’avoir des matelas au sol n’a rien à voir. Car cela dépend de la gestion des établissements pénitentiaires», souligne Pierre-Victor Tournier, le mathématicien spécialiste de la statistique pénitentiaire.
Ce dernier, grand défenseur des peines alternatives, sèche pour analyser la politique pénitentiaire, faute de données précises. «Il ne suffit pas de disposer de chiffres sur le stock, il faut aussi avoir les flux», s’impatiente-t-il. «Nous ne savons pas vraiment combien de personnes entrent et sortent de prison chaque mois. Et nous attendons toujours les chiffres de la contrainte pénale qui étaient supposés être publiés tous les trimestres», rage-t-il. «Ce n’est pas complètement figé mais nous devrions être autour de 1200 contraintes pénales depuis le début de l’année», hasarde Dominique Raimbourg, par ailleurs président du comité de pilotage de la réforme pénale à la Chancellerie. Autant dire que ce n’est pas cette nouvelle peine peu appréciée des magistrats qui fait baisser les chiffres de la population carcérale.
Les libérations sous contrainte, qui se situent toujours autour des 500 pour le mois de juillet, ne sont pas non plus le facteur déclencheur. «C’est peut-être la fin des peines planchers et de l’automaticité des révocations de sursis en cas de non-respect des obligations. Cela joue sur la longueur des peines et donc peut-être sur l’évolution de la population pénale», tâtonne Pierre-Victor Tournier. «Selon les directeurs de prison, les entrées seraient tout aussi nombreuses, mais la fin des automatismes ferait que les gens restent moins en détention», tente Dominique Raimbourg.
Une chose est sûre en tout cas, le nombre de condamnations n’a lui-même cessé de baisser depuis le mois de janvier. En dessous de la barre de 49 000 pour le mois de juillet, il a atteint son point le plus bas sur les trois dernières années. De quoi décourager un peu plus les policiers qui, si souvent, dénoncent l’impunité, y compris pour des délits qui sont loin d’être anodins comme le trafic de stupéfiants et parfois même celui des armes.
Les mesures phares de la réforme pénale
● La contrainte pénale
Cette nouvelle peine en milieu ouvert astreint le condamné à un ensemble d’obligations et d’interdictions ainsi qu’à une surveillance continue.
● La suppression des peines planchers
Ces peines minimales avaient été instaurées sous Nicolas Sarkozy pour les personnes en situation de récidive légale et pour les auteurs de certains délits de violences aggravées.
● La césure pénale
La culpabilité peut être prononcée lors d’une première audience, et la décision sur la peine peut être renvoyée à une seconde audience.
● La libération sous contrainte
La situation des détenus condamnés à une peine de 5 ans au maximum est examinée aux deux tiers de leur condamnation, en vue d’une éventuelle libération sous contrainte.