Offre de soins insuffisante, prise en charge «préoccupante» des personnes âgées, arbitraire de la sanction… Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, dresse un tableau sévère du système français.
Par SONYA FAURE, SYLVAIN MOUILLARD, LAURE DEB
Chaque année, ses rapports sont attendus avec impatience. Parce que leur précision n’a pas varié d’un iota depuis qu’il occupe le poste de Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Parce qu’ils sont toujours aussi cinglants. Depuis 2008, Jean-Marie Delarue est l’observateur avisé du système pénitentiaire français. L’homme qui pointe les entorses à la loi, les manquements aux droits élémentaires…
Mis en place sous Sarkozy, le conseiller d’Etat de 63 ans est très respecté, aussi bien à droite qu’à gauche. Juste après l’élection de François Hollande, il avait embarrassé le PS en proposant une «loi d’amnistie spécifique» à l’égard des condamnés à des peines «très légères», afin de lutter contre la surpopulation carcérale. Le ministère de la Justice n’avait pas donné suite.
Après avoir notamment abordé le travail en prison dans son rapport d’activité 2011, Jean-Marie Delarue a choisi cette année de mettre l’accent sur la santé et le vieillissement des détenus, ainsi que sur les règles de discipline plus ou moins tacites qui rythment la vie des établissements. Libération.fr a lu ce document. En voici les principaux éléments.
L’arbitraire de la sanction
Les lieux clos répondent à des règles de discipline, plus ou moins écrites, tacites, légales. S’il existe un règlement en prison, il existe également un «infra-droit», écrit le Contrôleur, dont l’arbitraire fait naître «un sentiment de révolte intense». Mais la situation est encore plus floue dans les hôpitaux psychiatriques, les Centres éducatifs fermés ou les centres de rétention pour étrangers, où, «en l’absence d’un droit disciplinaire formel, l’imagination humaine, très fertile en la matière, a inventé toute une gamme de sanctions déguisées, illicites ou clandestines». Le contrôleur s’étend longuement sur le cas des patients des hôpitaux psychiatriques.
«Des sanctions déguisées peuvent concerner des éléments très concrets de leur vie quotidienne. Officiellement, il s’agit de « mesures de soin prises dans l’intérêt du malade ».» Comme «l’administration de neuroleptiques, parfois qualifiée de « camisole chimique »», l’interdiction de recevoir la visite de ses proches «dans l’intérêt du patient», l’interdiction de téléphoner, l’interception de lettres au nom de «motifs thérapeutiques»… Le contrôleur rapporte ce cas de punition collective après des débuts d’incendies dont l’auteur n’avait pas été identifié. Plus de sorties dans le jardin, plus de tabac, plus de briquets, plus de téléphones ni de visites «jusqu’à nouvel ordre», précisait le courrier d’un médecin. Dans un établissement d’Outre-mer, un patient avait été placé à l’isolement depuis 15 jours «pour avoir eu une relation sexuelle avec une patiente et pour l’empêcher de la rencontrer à nouveau».
Une offre de soin «inégale»
Jean-Marie Delarue consacre une part importante de son travail aux questions de santé dans les établissements pénitentiaires. Son constat est sans appel : «L’offre de soins peut être encore très inégale et elle n’est pas toujours à la hauteur de ce que notre société est en droit d’attendre.» L’enjeu est de taille : 27,1% des détenus ont besoin de soins en santé mentale. Un taux dix fois plus élevé que dans la population française. Pourtant, la coordination avec les services compétents est insuffisante et les consultations avec les médecins spécialistes restent très longues à obtenir. L’extraction des détenus pour raison médicale est un «point noir».
Même inquiétude en ce qui concerne les toxicomanes (un tiers des entrants consomme des produits illicites). Les contrôleurs ont constaté que certains praticiens des établissements pénitentiaires refusaient de prescrire des produits de substitution – tel le Subutex® – en raison des risques de trafic. Or, «c’est l’état du patient qui doit primer», rappelle Jean-Marie Delarue. Les soins dentaires et ophtalmologiques souffrent aussi de graves lacunes. Trop systématiquement, on décide d’arracher les dents malades des détenus, au lieu de les traiter. Les produits nécessaires à la conservation des lentilles ne sont pas toujours mis à disposition des patients, même ceux qui ont «les moyens de les financer».
Le rapport s’intéresse également à un phénomène rarement abordé : la place des personnes âgées en prison. «L’âge moyen de la population pénale progresse en raison de l’augmentation de la durée des peines et des caractères des auteurs de certaines infractions», note le contrôleur. Au 1er janvier 2012, les établissements français comptaient 2 565 détenus de 60 ans et plus. Leur prise en charge n’est pas adaptée, et même carrément «préoccupante». «Le rythme de vie à l’intérieur de l’établissement, l’organisation de celle-ci est, pour cette population, source d’angoisse.» Jean-Marie Delarue préconise un recours accru aux peines en milieu ouvert. «Une telle orientation serait manifestement la plus respectueuse de la dignité humaine», juge-t-il.
A quand le bilan des centres éducatifs fermés ?
«L’éducation doit rester le fil conducteur dans la prise en charge des enfants enfermés», rappelle Jean-Marie Delarue, en se référant à l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante. Il remarque d’ailleurs que l’enfermement demeure une sanction pénale d’exception. «En flux, ce sont entre 3 200 et 3 400 enfants qui entrent chaque année en prison et autant qui en sortent.» Au final, le nombre de mineurs détenus reste relativement stable alors que celui de l’ensemble des personnes incarcérées augmente.
Sur le sujet sensible des mineurs accompagnés placés en rétention administrative, qui a valu à la France une condamnation par la CEDH en janvier 2012, le contrôleur salue l’instruction de Manuel Valls pour que les familles avec des enfants mineurs ne soient plus placées en rétention administrative, préférant l’assignation à résidence. Il déplore cependant que cette restriction ne s’applique pas en Outre-Mer, rapportant qu’en août 2012, au centre de Pamandzi (Mayotte), un très jeune enfant a été retrouvé décédé aux côtés de sa mère.
Dans ses recommandations, comme en 2011, Jean-Marie Delarue rappelle qu’un bilan pour les mineurs en Centre éducatif fermé (projet, évolution, prise en charge à la sortie…) «demeure peu répandu sauf dans les établissements qui tournent bien». Exactement ce que disait la ministre Christiane Taubira cet été… ce qui lui avait valu une belle polémique.
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