Syndicats pénitentiaires et parlementaires ont pointé des conditions de détention plus favorables pour ces détenus. Le ministre de la Justice a pris des engagements visant à les durcir. Franceinfo fait le point.
Des cellules individuelles, des salles de sport dédiées, des cours d’escrime, des ateliers d’arts plastiques… Les 89 détenus des cinq Unités de prévention de la radicalisation (Upra) inaugurées en janvier dernier dans quatre prisons françaises, bénéficient-ils d’un régime de faveur ? Plusieurs voix se sont élevées récemment, parmi les syndicats pénitentiaires et les parlementaires, pour dénoncer les conditions de détention plus favorables qui seraient réservées à ces individus incarcérés dans des affaires de terrorisme lié à l’islam radical.
Ces conditions sont très disparates. Le regroupement géographique des détenus et l’encellulement individuel sont quasiment les seules constantes. Car les missions des unités divergent. Celles de Fresnes (Val-de-Marne) et de Fleury-Mérogis (Essonne), qui en compte deux, sont dédiées à l’évaluation de détenus incriminés pour des faits de terrorisme ou repérés pour radicalisation. Après quelques mois, les plus dangereux sont placés à l’isolement et ceux qui ne présentent pas de risques sont remis en détention ordinaire. Les autres, qui nécessitent une prise en charge, sont envoyés à l’unité d’Osny (Val-d’Oise) quand ils sont jugés réinsérables. Ils sont redirigés vers celle de Lille-Annœullin (Nord) quand ils sont considérés plus réfractaires.
Anglais, arts plastiques, géopolitique pour les uns, rien pour les autres
La question du fait religieux fait partie de la prise en charge. Dans les cinq unités, les détenus reçoivent la visite d’un ou plusieurs aumôniers pour des entretiens individuels et l’organisation d’un culte collectif, à d’autres horaires que ceux des autres détenus.
L’offre des activités est plus ou moins riche d’un établissement à un autre. A la maison d’arrêt d’Osny, une équipe pluridiscplinaire a planché pendant plus d’un an sur la mise en place d’un programme dédié, sous la houlette de l’Association française des victimes du terrorisme et de l’Association Dialogues Citoyens. Résultat : les 18 détenus de l’unité peuvent bénéficier de nombreuses heures d’ateliers, allant de l’alphabétisation à l’anglais en passant par les arts plastiques et la géopolitique.
Des cours d’escrime thérapeutique ont aussi été mis en place, pour un coût de 15 000 euros par an, selon Le Point. De quoi faire bondir le député Philippe Goujon (LR), qui s’est rendu dans la prison lundi 12 septembre.
Tout ça, c’est pris sur les budgets des programmes antiterroristes.
« Les cours d’escrime sont expérimentés depuis deux ans à Osny, rétorque une source pénitentiaire. L’objectif est de travailler le rapport à l’arme et à la violence et c’est quelque chose qui a bien fonctionné. » Et d’ajouter : « Il ne faut pas oublier qu’on travaille sur de l’humain. » Rien de tout cela à Fresnes, où le regroupement de détenus radicalisés a pourtant été initié dès octobre 2014. A part un programme dirigé par le chercheur Jean-Luc Marret, spécialiste des questions liées au terrorisme, l’unité d’évaluation ne propose guère plus qu’un encellulement individuel dans une aile partagée avec des détenus de droit commun.
A Fresnes, c’est une unité brouillon, greffée au sein de la détention.
« La prison date de 1895, on n’a jamais bénéficié de grand projet de restructuration, constate Cédric Boyer, responsable FO à Fresnes.
Deux euros le cours de sport à Lille-Annœullin
« On a construit les unités en fonction de l’architecture des prisons », confirme-t-on à l’administration pénitentiaire. Dans le tout récent centre pénitentiaire de Lille-Annœullin (Nord), l’Upra a pu être installée dans un bâtiment à l’écart, réservé jusque-là aux longues peines (dispatchées dans d’autres établissements). C’est dans cette unité que les objectifs recherchés par les autorités, à savoir isoler les détenus radicaux tout en leur proposant une prise en charge, semblent le plus atteints.
Les conditions de détention y sont les plus confortables : des cellules de 12 m2 avec une douche – les sanitaires sont collectifs dans les autres unités -, un terrain de sport et des salles de musculation dédiées, une bibliothèque bien alimentée et accessible plusieurs fois par semaine… Selon une source syndicale, deux détenus sur les 16 présents (pour 28 places) travaillent à l’atelier de confection de lingettes de lunettes, alors que la possibilité de travailler est normalement presque inexistante pour les personnes incarcérées pour terrorisme. Qu’ils soient en unité ou non.
La prof de yoga est au chômage technique car les détenus ne veulent pas participer.
Lors de la visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), dont le rapport a été rendu public en juin, des ateliers de « peinture spontanée », de « photo-expression », de « modelage », « un ciné-débat », « une activité psycho-corporelle » avec une professeure de yoga et « un atelier graffiti » étaient en projet. Selon David Lacroix, délégué FO dans le centre pénitentiaire, le ciné-débat a eu lieu et l' »activité psycho-corporelle » a été proposée. Mais « la prof de yoga est au chômage technique car les détenus ne veulent pas participer ». Ils rechignent également à faire du sport avec un moniteur. « Ils sont rémunérés 2 euros la séance pour les motiver, poursuit David Lacroix. La hiérarchie met un peu la pression pour qu’il y ait des résultats. »
Pascal Decary, de la CGT, déplore que les détenus de Lille-Annœullin aient un statut particulier.
C’est les starifier que de les mettre à part. Ils se sentent importants. (…) Ils sont un peu chouchoutés.
Selon lui, la prise en charge pour ces détenus est vaine. « On arrive à un moment où il est déjà trop tard, je ne vois pas comment on va les tirer de ce processus. » « Ils m’ont mis chez les ‘irrécupérables’, c’est comme ça qu’ils disent. Mais on a sport trois fois par semaine, on est à trois en promenade, et il y a des gens que je connaissais d’avant », témoigne un détenu de l’unité nordiste auprès du contrôleur.
Un sentiment d’isolement et d’éloignement
Si certains se félicitent d’être regroupés entre eux et de bénéficier de conditions plus favorables, d’autres souffrent de l’isolement et de l’éloignement familial. « Ils ont quelques parloirs mais ce sont des gens isolés, qui ne reçoivent pas beaucoup de visite », confirme David Lacroix. Un sentiment ressenti dans d’autres unités, comme à Osny. Si les conditions y sont meilleures qu’à Fresnes ou Fleury-Mérogis, dont les cours de promenade réservées à l’unité font 8 mètres sur 3,5, la contrepartie d’un encellulement individuel est une surveillance accrue lors des mouvements au sein de la prison.
Ici, c’est dur, c’est plus pesant. On circule comme si on était à l’isolement. Tout est rationné, contrôlé, observé.
A Fresnes, certains détenus sont affectés dans l’unité depuis 2014. Chez « les personnes détenues ‘regroupées’ depuis longtemps, nous avons senti une grande réticence, témoigne un éducateur auprès du CGLPL. Et la lassitude de se sentir ‘comme des rats de laboratoire’, qui doivent ‘sans cesse raconter leur vie’. »
Jusqu’à présent, les détenus des Upra n’avaient pas un régime de détention spécifique – au sens disciplinaire du terme – puisqu’ils ne sont pas à l’isolement. A l’inverse, par exemple, de Salah Abdeslam. Dans son rapport, le CGLPL s’alarmait du « risque de création d’un régime de détention sui generis, ne s’apparentant ni à la détention ordinaire ni à l’isolement ». Qui plus est pour des détenus à 80% prévenus et donc « présumés innocents ».
Un régime de détention modifié
Reste que pour les syndicats, l’accent a trop été mis sur la prise en charge du processus de « déradicalisation » plutôt que sur la sécurité. « Jusqu’ici, on n’était pas du tout dans un esprit sécuritaire dans les unités dédiées mais davantage dans un souhait de déradicalisation. Avec des activités spécifiques : groupes de parole, sophrologie ainsi que les activités auxquelles ont droit tous les détenus comme les cours, la bibliothèque, le sport », explique à 20 Minutes le délégué de FO pénitentiaire pour la région parisienne, Jérôme Nobecourt. Un avis partagé sur les ondes de franceinfopar Jean-François Forget, secrétaire général du syndicat pénitentiaire Ufap-Unsa.
Aujourd’hui, c’est du cocooning qui se fait dans ces quatre unités.
C’est à Osny, où « une déradicalisation méthode douce » était pratiquée, selon l’expression de Thibault Capelle, délégué SLP-FO à Fleury-Mérogis, qu’a eu lieu l’agression de deux surveillants par un détenu. « Ça ne marche pas du tout ces unités. Bilal T. était considéré comme l’un des plus réinsérables ! », s’emporte le député Philippe Goujon.
Dans la foulée de cette « tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste », selon la qualification du parquet, Jean-Jacques Urvoas a annoncé qu’il souhaitait faire « modifier immédiatement le régime de détention des cinq unités ». Le ministre de la Justice entend organiser « plus fréquemment » des changements de cellule, instaurer des « rotations de cellule systématiques » et multiplier les fouilles. En outre, « les effets personnels des détenus seront limités au sein des cellules » pour limiter les « caches potentielles ». Les possibilités de « cantiner », c’est-à-dire d’améliorer la vie quotidienne en prison par des achats, seront réduites et l’accès des détenus aux publications extérieures sera plus étroitement « contrôlé ». Comme un changement de philosophie.
Catherine Fournier
France Télévisions
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