Nicole Maestracci est le visage de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, lancée en septembre par la ministre de la Justice. Pourtant, la magistrate rechigne à l’incarner. Elle dit « nous » et pas « je ». Précise, plusieurs fois, que ce n’est pas elle qui décide. Que si elle préside bien le comité d’organisation de la conférence, ce n’est pas son avis qui prévaut, mais celui du jury.
Long et complexe, le procédé choisi ne ressemble pas aux habituels comités et commissions dont les travaux à huis clos se terminent par un rapport. Cette méthode de travail issue du monde médical s’est progressivement étendue à d’autres domaines.
CALENDRIER
18 septembre : Nicole Maestracci est nommée présidente du comité d’organisation de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Celui-ci compte une vingtaine de personnes issues du monde judiciaire et de la société civile.
Octobre à janvier : Travaux préparatoires. Le comité d’organisation recueille les contributions de 70 organisations et associations professionnelles, nomme les membres du jury et fait une synthèse bibliographique des travaux disponibles sur la récidive.
14 et 15 février : La conférence de consensus doit avoir lieu à la Maison de la chimie, à Paris. Chaque expert expose ses conclusions pendant 15 minutes, suivies de 10 minutes de questions du jury.
Semaine du 18 février : Le jury rend ses propositions à la ministre de la Justice.
La conférence de consensus vise à faire le point sur l’état des connaissances scientifiques, entendre le point de vue des professionnels (au sens large) et de tous ceux dont l’avis est jugé précieux, avant d’émettre des recommandations.
C’est une magistrate reconnue qui organise les débats. Première présidente de la cour d’appel de Rouen, Nicole Maestracci a déjà participé à plusieurs conférences du même type, sur l’intervention médicale en garde à vue, l’expertise judiciaire, les psychopathes ou la prise en charge des sans-abris.
L’avancée des travaux est à la disposition du grand public, même si les débats sur la récidive ne semblent pas passionner les foules au-delà des professionnels du droit.
L’ambition de Nicole Maestracci est aussi de parler, le plus simplement possible et avec des arguments scientifiques, de ces sujets qui impliquent des avis très tranchés : le sens de la prison, les alternatives possibles, l’utilité de la libération conditionnelle… Pour ne pas tomber des nues à chaque fait divers impliquant un récidiviste.
Rue89 : Vous avez entendu l’avis de nombreux professionnels de la justice sur la récidive. Que disent-ils ?
Nicole Maestracci : La plupart considèrent que les courtes peines de prison (jusqu’à six mois environ) ne permettent pas de lutter efficacement contre la récidive. Plusieurs organisations syndicales de policiers nous disent que ça permet surtout de se constituer des réseaux délinquants, d’apprendre des techniques en prison… C’est criminogène.
Les personnels pénitentiaires et les magistrats nous disent que ce temps est trop court pour permettre un travail d’insertion et une préparation correcte de la sortie. Tout le monde reconnaît donc qu’il faut que les courtes peines de prison interviennent seulement dans certains cas exceptionnels. Mieux vaut, dans la mesure du possible, des peines alternatives, d’autres types de sanctions.
Il faut donc développer les peines alternatives à la prison ?
Environ 80% des personnes entrant en prison à un moment donné restent moins d’un an, 60% moins de six mois. Pour ces détenus-là, la question de la dangerosité n’est pas la plus importante, ils n’ont pas commis de délits très graves. Dans les représentations, les peines alternatives seraient des « mesures de faveur » pour les condamnés, pas forcément propices à prévenir la récidive.
En plus, les moyens humains dont disposent les services d’insertion et de probation (SPIP) ne leur permettent pas de suivre les peines alternatives de manière satisfaisante. Lorsque des magistrats prononcent des obligations, l’interdiction de rencontrer une victime ou de paraître dans certains lieux, encore faut-il avoir les moyens de vérifier qu’elles sont véritablement mises en œuvre.
La question plus générale, c’est celle de la crédibilité des peines alternatives. Elles protègent mieux de la récidive que les peines de prison. Et elles sont assez contraignantes : parfois, devant le tribunal correctionnel, des jeunes refusent les travaux d’intérêt général (TIG) ou le placement sous surveillance électronique (PSE) et préfèrent aller en prison.
Vous parlez de « crédibilité » des peines, mais par rapport à qui ? A la personne condamnée ? A l’opinion publique ?
Une bonne peine est considérée comme juste, à la fois par la personne condamnée, par la victime et par l’opinion publique de manière générale. C’est ça l’idéal. Pour que la peine soit juste, il faut aussi qu’elle soit exécutée.
Souvent, la méconnaissance des peines alternatives fait que la victime se dit : « Cette personne a été interpellée et puis on l’a revue dans le quartier le lendemain ». Mais il peut avoir un TIG à effectuer ou des obligations à respecter. Ces peines sont de vraies peines.
Là vient l’idée de la peine de probation, qui ne serait pas déterminée en fonction d’une durée de prison, mais en fonction d’un contenu adapté à chaque personne. Cela pourrait être des soins, du travail d’intérêt général, de l’indemnisation de la victime, le fait de ne pas récidiver, de s’insérer.
Si vous ne respectez pas ces obligations, il n’y aurait pas une peine de prison déterminée au préalable mais un retour devant le tribunal, qui prononcerait une peine en fonction de la personnalité et de la gravité du manquement aux obligations.
Mais ce n’est pas la peine de probation qui va résoudre tous les problèmes : si elle se met en place avec les seuls moyens dont dispose aujourd’hui les SPIP et avec une réponse pénale à 90%, il est peu probable qu’on arrive à la mettre en place dans de bonnes conditions.
La peine de probation a déjà été annoncée par Christiane Taubira. Quelle est votre marge de manœuvre dans les propositions que vous pouvez adresser à la garde des Sceaux ?
Notre souci est de proposer des solutions réalistes, parce que dans le cas contraire, elles ne seront pas mises en œuvre. On ne peut pas inventer tous les jours des choses nouvelles dans ce domaine : beaucoup ont été expérimentées, en France ou dans d’autres pays.
Les problèmes de surpopulation pénale ou de durcissement de la politique pénale sont posés dans la plupart des pays développés. Et la politique pénale ne peut pas être complètement isolée des autres politiques publiques, sociales, éducatives, etc.
On parle souvent du mille-feuilles des dispositifs sociaux, mais il y a aussi un mille-feuilles des dispositifs judiciaires, compte tenu du nombre de lois qui se sont succédé et des dispositifs qui se sont ajouté les uns aux autres sans se substituer. On a une augmentation de la population pénale et en même temps une augmentation des peines alternatives.
80% des sorties de prison sont des sorties « sèches », sans accompagnement. Comment mieux accompagner les détenus ?
Plus les gens sortent en libération conditionnelle, moins ils ont de chances de récidiver. A condition bien sûr que cette libération s’accompagne d’un suivi sérieux et adapté à la situation de chaque personne. Ce sont des données solides, qu’on a depuis longtemps, mais ça contredit les idées reçues. Ces dernières années, compte tenu des attaques dont ils ont fait l’objet, les juges d’application des peines ont développé une certaine réticence à prononcer des libérations conditionnelles.
Certains pays, comme la Suède, prévoient des libérations conditionnelles systématiques. Là-bas, le condamné sort de toute façon aux deux tiers de la peine. L’évaluation ne sert pas à décider s’il doit sortir, mais à déterminer le contenu du suivi. La différence, c’est qu’en Suède, un conseiller d’insertion et de probation suit entre 25 et 35 cas par an. En France, c’est plutôt de 80 à 130 dossiers. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
En terme de récidive et de réitération, comment se situe-t-on en France par rapport à d’autres pays européens ?
En ce qui concerne le taux de détention, on est dans la moyenne européenne. Mais sur la récidive, on n’a pas de données comparables. Le taux de récidive est beaucoup plus important lorsqu’on a commis des infractions contre les biens que contre les personnes, quand on est plus jeune, etc.
Dans d’autres pays européens, certains programmes de probation, en particulier dans les pays anglo-saxons, ont des résultats très intéressants, de 15 à 30% de récidive en moins pour ceux qui sont arrivés au bout du programme. Malgré les difficultés qu’on peut avoir en France et la faiblesse des moyens, on peut certainement tirer beaucoup de bénéfices de la connaissance de ce qui existe à l’étranger.
Certaines infractions routières pourraient être dépénalisées, ou celles qui sont des délits pourraient devenir des contraventions. Pour tout ce qui est sanction quasi-automatique, avec des barêmes, la plus-value judiciaire est relativement faible. On peut pourtant marquer un interdit de manière très efficace. Prenons l’exemple du chèque sans provisions : avant la dépénalisation, il prenait des audiences entières. Désormais dépénalisé, il n’a pas été autorisé pour autant.
A très long terme, pensez-vous qu’un jour la prison ne fera plus partie de l’arsenal répressif ? Après tout, l’institution carcérale est une invention assez récente.
L’air du temps n’est pas tout à fait dans ce sens. Je ne crois pas qu’on parvienne à supprimer la prison à court terme, en tout cas pour les faits les plus graves. Et on n’a pas encore fait la démonstration qu’on était capables de mettre en œuvre des réponses crédibles pour l’ensemble de l’opinion publique qui se substituent à la prison.
C’est difficile de se projeter si loin, et la prison n’a pas pour but seulement la prévention de la récidive. Elle a un aspect symbolique, avec une tension entre l’objectif de punition et l’objectif de réinsertion.
En revanche, le fait qu’il y ait plusieurs types de prison, des prisons plus ouvertes, d’autres moins, qu’on s’adapte mieux à chaque type de délinquant, ça fait partie des objectifs qu’on peut avoir à moyen ou long terme.
Le développement du bracelet électronique comme peine alternative à la prison vous semble-t-il judicieux ?
Sous certaines réserves. Toutes les études convergent pour dire que le PSE ne peut pas dépasser quelques mois, sinon c’est très difficilement supportable, ça crée des incidents et des risques de retour en prison.
Deuxièmement, le PSE ne fait pas réinsertion en soi. Soit c’est quelqu’un qui n’a pas besoin d’accompagnement, qui est déjà assez bien inséré socialement, et dans ce cas c’est une mesure de contrôle pur et simple, soit c’est quelqu’un qui a un certain nombre d’autres problèmes, et dans ce cas-là, il est nécessaire d’avoir un accompagnement social parallèle.
C’est une mesure, mais il faut se garder de penser – comme elle n’est pas très coûteuse – qu’on peut la mettre en œuvre en se passant de cet accompagnement humain.
François Hollande a annoncé vouloir mettre en place « un dispositif de suivi et de contrôle des individus les plus dangereux ». En quoi ça peut consister ? Comment on juge de la dangerosité d’un condamné à l’issue de sa peine ?
« Dangerosité » est un terme qui fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part des psychiatres qui considèrent qu’ils ne peuvent pas prédire la récidive de quelqu’un. Ils préfèrent parler de l’évaluation du « risque de récidive » et évaluer les mesures propres à réduire ce risque. Le soin ne peut pas être une mesure de prévention de la récidive à lui seul.
Quel que soit le vocabulaire utilisé, il s’agit quand même d’essayer de déterminer si une personne, à la fin de sa peine, est susceptible de récidiver ou non ? Comment on fait ?
L’idée selon laquelle le moindre risque serait de laisser aller quelqu’un jusqu’à la fin de sa peine mérite d’être renversée. Non, justement, c’est le risque maximum. Si vous faites sortir quelqu’un en libération conditionnelle, vous prenez un risque, mais moindre que si vous ne le faites pas sortir.
Alors, bien sûr, on n’est pas à l’abri d’une récidive grave. C’est toujours épouvantable, mais statistiquement il n’y a pas de risque zéro. Il faut réduire le risque au maximum, sans laisser croire aux gens qu’on peut les protéger de tout.
On ne peut pas avoir pour objectif d’abolir complètement la récidive. Recommencer, ça fait partie de la nature humaine. Abolir la récidive, c’est aussi ambitieux et démesuré que de vouloir abolir la guerre. Chacun le sait au fond de lui-même : parfois on recommence à faire quelque chose qu’on ne devrait pas faire.
Après, on sait qu’il y a un certain nombre de circonstances qui vont favoriser ou ne pas favoriser la récidive : le vieillissement en protège assez bien, le fait de tomber amoureux, d’avoir un enfant. Et puis il y a des points sur lesquels on peut agir : en travaillant sur la personnalité de chacun, et aussi par l’emploi, l’insertion sociale, le logement. Tout cela constitue des points d’ancrage pour les politiques publiques.
Quel bilan faites-vous des travaux de la conférence de consensus jusqu’à présent ?
Au départ, la conférence se heurtait à un certain scepticisme, parce que c’est une méthode très inhabituelle dans le monde judiciaire. C’était assez difficile à comprendre. Ce processus fait intervenir beaucoup de gens, c’est un pari sur l’intelligence collective et le croisement des regards.
Tous les professionnels avaient le souci de débattre et de contribuer, de trouver des solutions. Ils ont aussi exprimé un sentiment de perte de sens, due à l’impression de gérer des flux et à la surcharge de travail. Des magistrats et fonctionnaires nous ont dit : « A la fin de la journée, on ne sait plus ce qui est important et ce qui ne l’est pas ».
En France, on dispose de beaucoup de mesures, soit en pré-sentenciel (les réponses pénales apportées par le parquet), soit en post-sentenciel. Mais au fond, même si on peut avoir le sentiment que telle ou telle mesure est plus ou moins efficace, les connaissances des acteurs sont très empiriques. On ne dispose pratiquement d’aucune évaluation sur la prison ou sur les mesures alternatives en milieu ouvert.
L’importation de la conférence de consensus, issue du monde médical, dans le domaine de la justice, témoigne-t-elle d’une mutation de la répression vers le soin ?
J’y verrais plutôt l’idée que pour mener une politique pénale, on doit se fonder sur des données scientifiques, même s’il ne s’agit pas là de sciences dures mais de sciences humaines et sociales. Il y a toujours une part d’humain et d’émotion dans l’accompagnement de quelqu’un. Néanmoins, on a suffisamment de données aujourd’hui pour dire : ce n’est pas possible de continuer comme ça.
Aujourd’hui, tous les textes successifs ont rendu l’accès aux mesures d’aménagement plus difficile pour les récidivistes. Résultat, les récidivistes, qui sont les personnes les plus en risque de récidive, bénéficient le moins des mesures propres à réduire les risques. C’est une absurdité, une contradiction relevée par beaucoup des intervenants qu’on a entendus.
Camille Polloni