Article de Laurence de Charette paru sur LeFigaro.fr , le 10 mars 2010
Des hauts magistrats de la Cour de cassation aux syndicats de policiers, en passant par les représentants des procureurs généraux et des premiers présidents des cours d’appel, de nombreux acteurs de la chaîne pénale défilent cette semaine dans le bureau de Michèle Alliot-Marie. La garde des Sceaux vient de lancer la concertation sur le chantier phare de la Chancellerie, la réforme de l’instruction. L’avant-projet, épais de 225 pages, a été présenté avec grand soin : les changements «de forme» avec le texte actuel en italique, les changements «de fond» en italique gras, et, en gris clair, les parties non rédigées qui feront l’objet d’une deuxième phase de concertation… Dès mardi, pourtant, les inquiétudes s’exprimaient dans la rue : un millier de professionnels de la justice ont défilé à Paris, critiquant la réforme annoncée ainsi que le manque de moyens de la justice.
Michèle Alliot-Marie a averti d’emblée : le principe de la suppression du juge d’instruction, magistrat tout-puissant dont le prestige s’est érodé au cours des dernières années, ainsi que le fait de confier, à l’avenir, l’ensemble des enquêtes aux parquets, ces magistrats qui, dans l’ensemble des tribunaux, travaillent en équipe sous la houlette du procureur de la République, ne sont «pas négociables». Reste l’architecture minutieusement bâtie par la Chancellerie : avocats, magistrats et policiers vont pouvoir débattre de ses rouages jusque fin avril environ.
Les services de la Chancellerie ont cherché à construire un nouveau système, qui ne laisse pas place à la suspicion. En effet, les critiques se concentrent sur les risques de pression exercée sur des magistrats dépendants de l’exécutif. «Nous avons écouté toutes les critiques. Cela nous a été très utile pour tenter d’y répondre en amont», expliquait récemment Michèle Alliot-Marie. Le projet prévoit donc que l’ensemble des enquêtes, y compris les plus sensibles, soient désormais traitées par les magistrats du parquet, mais sous le contrôle d’un nouveau juge, le «juge de l’enquête et des libertés», le «JEL». Celui-ci devra être interrogé pour toutes les mesures attentatoires aux libertés individuelles, et il pourra être sollicité tout au long de la procédure. Ses propres décisions pourront être contestées devant la «chambre de l’enquête et des libertés». Pour les affaires les plus complexes, il pourra ne pas trancher seul, mais statuer en collégialité.
Outre la suppression du juge d’instruction, l’un des changements culturels majeurs que prévoit la réforme, c’est l’introduction de plus de contradictoire dans la procédure : toutes les parties (la victime, le mis en cause, mais également cette nouvelle «partie citoyenne» que crée le texte, une personne qui n’est pas directement victime, mais qui a un intérêt à agir devant la justice) pourront demander des actes d’investigation au magistrat. À de multiples stades de l’enquête, ils pourront contester les décisions du parquet devant le JEL. La chancellerie estime que 20 à 25 % des dossiers devraient faire l’objet de demandes de ce type – jusqu’à présent réservées aux enquêtes menées par les juges d’instruction, c’est-à-dire à peine 4 %.
Une inconnue de taille demeure pourtant : le mode de financement de cette révolution judiciaire, qui promet d’être coûteuse en aide juridictionnelle et en moyens humains. Un nouvel ennemi s’est également invité : le calendrier. Même si les deux premières parties du texte étaient votées séparément – en septembre pour la garde à vue, puis début 2011 pour ce qui concerne l’enquête -, la troisième partie de l’ensemble, le jugement, n’est pas encore rédigée… Et la réforme pourra difficilement prendre pleinement effet avant la prochaine présidentielle.