Retard à l’allumage pour la contrainte pénale

C’était il y a tout juste un an. Le 1er octobre 2014, la contrainte pénale, une nouvelle peine alternative à la prison, entrait en application. Onze mois plus tard, avec 950 mesures prononcées, le bilan est modeste pour la garde des Sceaux, Christiane Taubira. 

La contrainte pénale, c’est quoi?

C’est l’une des mesures phares de la réforme Taubira, votée en juin dernier, une peine « en milieu ouvert », que les juges peuvent prononcer pour les délits où un maximum de 5 ans de prison est encouru. Il s’agit d’une période de six mois à 5 ans, prononcée par le tribunal, pendant laquelle le condamné est soumis à des obligations et des interdictions (obligations de soins, de rechercher un travail, indemnisation des parties civiles…). La peine commence par une période d’évaluation de 3 mois, pour fixer les obligations les plus adaptées. Le condamné est ensuite suivi très régulièrement par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). En cas de non-respect, il peut être renvoyé devant le juge et incarcéré. La peine s’ajoute à celles déjà existantes, qui restent à disposition du juge : prison ferme, sursis simple, sursis avec mise à l’épreuve (SME).

Contrainte pénale © Idé – 2015

Des débuts poussifs

Le gouvernement plaçait beaucoup d’espoir dans cette mesure, à la fois pour prévenir la récidive, avec un encadrement renforcé des délinquants, favoriser la réinsertion, et aussi contribuer à diminuer la surpopulation carcérale. Un an après, les débuts sont poussifs : 950 contraintes pénales ont été prononcées en onze mois. Le gouvernement en espère, à terme, entre 8.000 et 20.000 par an. On est donc encore très loin du compte.

Pourquoi ça ne marche pas ?

A la chancellerie, on se veut philosophe : il faut laisser le temps aux magistrats de s’emparer de cette nouvelle peine. Le travail d’intérêt général, créé il y a 30 ans, avait aussi connu des débuts difficiles.123 tribunaux sur 160 ont prononcé au moins une contrainte pénale depuis octobre dernier. Mais le chiffre recouvre de très fortes disparités. Il y a les bons élèves, comme Créteil, le Mans, Blois ou Valenciennes. Et les derniers du classement : six contraintes pénales prononcées à Paris, deux dans le Val d’Oise, zéro à Perpignan.

Les magistrats sont réticents, on sent de la défiance

Avec 90 contraintes pénales par mois en moyenne (contre 25.000 peines d’emprisonnement, ferme ou avec sursis, pour des délits), la nouvelle peine n’est pas entrée dans les moeurs. Pourtant, les moyens ont été mis : la moitié des 1000 créations de postes annoncées dans les services d’insertion et de probation sont pourvus. Sur le terrain, les agents ont mis en place une méthodologie, prévu des entretiens plus fréquents avec les condamnés, certains testent des outils d’évaluation… « On est prêts », explique le directeur d’un gros SPIP d’Ile-de-France, « mais on n’a que 7 condamnés en contrainte pénale : c’est vraiment minable », se désole-t-il. La faute aux magistrats du tribunal correctionnel, qu’il a pourtant rencontrés: « on sent de la défiance », envers cette nouvelle peine, qu’ils ne prononcent pas. Comme s’il n’y avait pas d’autre choix que la prison, et même si, comble de l’absurde, les courtes peines ne sont souvent exécutées qu’avec deux ou trois ans de décalage, et sont donc particulièrement inefficaces. Un constat partagé par Pierre-Victor Tournier, l’un des initiateurs de la contrainte pénale, ancien directeur de recherche au CNRS.  « Autant dire que les juges font, pour le moment, un usage des plus restreints de cette nouvelle sanction. La différence avec le sursis avec mise à l’épreuve, qui a été maintenu, leur apparaît-elle trop ténue? Contestent-ils le fait que les contraintes ne soient pas entièrement définies lors du jugement? Considèrent-ils que les SPIP n’ont pas les moyens d’accompagner cette nouvelle peine?» s’interroge-t-il.

Apprendre à travailler ensemble

Dans certaines juridictions, pourtant, les débuts de la contrainte pénale, même timides, sont prometteurs. A Valenciennes, de 16 contraintes pénales suivies fin juin, on est passé à 22.L’objectif de 50 que s’est fixé le service d’insertion et de probation n’est pas si loin. La clé du succès, à Valenciennes comme à Créteil, où Christiane Taubira se rend ce vendredi, c’est le dialogue. Les magistrats, qui avaient l’habitude de fixer dès le jugement les obligations et interdictions d’un condamné, par exemple dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME), sont désormais contraints à une période d’évaluation de 3 mois, assurée par le service d’insertion et de probation. Au terme de cette période, le SPIP fait une proposition de suivi au juge, qui peut la valider, ou l’amender. Une perte de contrôle à laquelle certains juges rechignent. Pourtant, la contrainte pénale ne trouvera sa place dans l’échelle des peines que si magistrats et services d’insertion, après s’être longtemps côtoyés sans se connaître, apprennent à travailler ensemble.

Les chiffres clés de la contrainte pénale

► 950 contraintes pénales prononcées entre le 1er octobre 2014 et le 31 août 2015

► Type d’infractions : 34% des condamnés le sont pour violences, 32% pour des contentieux routiers, 18% pour des atteintes aux biens, 8% pour des infractions liées aux stupéfiants

► Durée : 48% des contraintes pénales prononcées ont une durée de 2 ans, 23% une durée de 3 ans

► 93% des condamnés sont des hommes (même pourcentage que pour l’ensemble des condamnés)

► 21% des condamnés ont moins de 25 ans (33% pour l’ensemble des condamnés)

Source : Chancellerie

►►► A REECOUTER « La contrainte pénale, dernière chance avant la prison », reportage à Valenciennes

 

Par Corinne Audouin, | 01 Octobre 2015 à 06:00
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