Par Caroline Piquet, Mis à jour le 10/11/2017 à 18h25 | Publié le 10/11/2017 à 18h09
Resté longtemps secret, ce programme lancé fin 2016 vient d’être dévoilé par la ministre de la Justice, qui réfléchit à l’étendre à l’ensemble du territoire français. Il concerne actuellement 14 radicalisés.
«Rive» pour «Recherche et intervention sur les violences extrémistes». C’est le nom du nouveau dispositif de déradicalisation testé en toute discrétion par le ministère de la Justice depuis une dizaine de mois en Île-de-France. Actuellement, 14 personnes radicalisées – 8 hommes et 6 femmes âgés de 26 ans en moyenne – sont suivies par une équipe pluridisciplinaire dont l’objectif est de les «désengager» de «la violence extrémiste» et de les réinsérer dans la société.
Si ce programme peut de prime abord ressembler à d’autres projets de déradicalisation, il présente pourtant plusieurs particularités et prend parfois le contre-pied de précédentes expérimentations. D’abord parce que ses participants le suivent sous la contrainte d’un juge. Exit le volontariat comme c’était le cas au centre de déradicalisation de Pontourny, aujourd’hui fermé, faute de candidats. Ensuite, parce que le suivi se fait en milieu ouvert. C’est-à-dire qu’aucun des participants de ce dispositif ne se trouve en prison: ils sont sous contrôle judiciaire, assignés à résidence ou sous bracelet électronique, le plus souvent en attente d’un jugement. Les autres ont été condamnés pour une infraction en lien avec le terrorisme ou pour des faits de droit commun avant d’être repérés pour leur radicalisation. Les faits qui leur sont reprochés sont variés: certains avaient des velléités de départ en Syrie, ont fait un passage en zone irako-syrienne, d’autres étaient poursuivis pour apologie du terrorisme ou consultation de sites djihadistes.
«On va chercher à comprendre leur parcours» Frédéric Lauféron, le directeur général de l’association APCARS (Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale)
Référents sociaux, psychologue, aumônier musulman, une dizaine de professionnels prennent en charge ces personnes à raison de six heures par semaine et via des prises de rendez-vous. «On se déplace énormément», explique Frédéric Lauféron, le directeur général de l’association APCARS (Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale) qui pilote ce projet avec l’Administration pénitentiaire, plus précisément avec les SPIP (Services pénitentiaires insertion et probation). Les rencontres peuvent se faire au restaurant, dans un parc public ou près de leur domicile. Contrairement aux expérimentations, il n’y a pas de centre de déradicalisation à proprement parler et jamais aucun participant ne se croise. L’équipe est aussi joignable par téléphone du lundi au samedi. «On les aide dans leurs démarches administratives mais aussi dans leurs questionnements, qu’ils soient religieux ou identitaires», détaille le responsable associatif. Le suivi se veut «très individualisé»: «on va chercher à comprendre leur parcours, pourquoi ils ont eu affaire à la justice» pour pouvoir in fine, «construire avec eux un projet de vie compatible avec les principes de la République», poursuit Frédéric Lauféron.
Tisser «un lien de confiance»
L’opération s’avère parfois délicate puisqu’il faut à terme tisser «un lien de confiance» avec le participant et le convaincre de l’utilité de ce programme. Si au départ, certains se sont montrés réticents, tous ont fini par coopérer. «La plupart d’entre eux nous appellent spontanément. On est devenu une sorte de point d’ancrage», estime encore Frédéric Lauféron. Et si l’un d’eux arrêtait de collaborer, le juge pourrait tout de suite prendre des sanctions et l’incarcérer. L’idée de ce programme a émergé en août 2016, juste après l’attentat de SaintÉtienne- du-Rouvray, dont l’un des auteurs était sous bracelet électronique. «On a compris qu’il fallait aussi prendre en charge les personnes suivies en milieu ouvert car elles étaient tout aussi dangereuses que celles qui sont en prison», explique-t-on à l’Administration pénitentiaire. À l’époque, l’impulsion est donnée par Jean-Jacques Urvoas, alors garde des Sceaux, mais contrairement aux autres expérimentations qui ont souvent tourné au fiasco, le projet est, cette fois-ci, tenu secret, loin des caméras. Ce n’est que jeudi, à un mois de la présentation d’un plan national de lutte contre la radicalisation, que la ministre de la Justice a décidé de révéler son existence. «Nous avons autour de 500 détenus très radicalisés et 1500 personnes en voie de radicalisation. Donc il faut agir», a déclaré Nicole Belloubet, qui dit réfléchir à l’extension de ce projet sur le territoire national.