En France, dans le débat public, toute l’attention se porte généralement sur la question : « quand commence la délinquance ? », ou encore « que faire pour empêcher sa survenance ? ». Or, dans la réalité, et dans l’objectif de diminution de l’activité délinquante sur un territoire, il est tout aussi important de se demander « quand est-ce que cela s’arrête ? » ou encore « comment les jeunes peuvent-ils sortir de la délinquance ? ». Si cette question est si peu présente, c’est sans doute parce que beaucoup s’imaginent que la seule façon de sortir de la délinquance est d’entrer en prison. Or ceci est faux. D’abord parce que la prison est loin d’être la principale réponse à des formes de délinquance multiples et le plus souvent peu graves. Ensuite parce que le passage en prison est loin d’être un soi une quelconque garantie de non-récidive par la suite. A distance des préjugés et des passions que suscite habituellement le sujet, il est donc important de s’interroger sérieusement sur les raisons de l’arrêt de la délinquance.
Le constat est aussi vieux que les études sur le sujet : l’immense majorité de ceux qui deviennent délinquants au sortir de leur enfance cessent un jour de l’être, ils se « rangent ». La plupart arrêtent même relativement tôt, avant 30 ans. Comment ? Pourquoi ? Grâce à quoi ou à qui ? C’est toute la question.
De ces expériences professionnels et de quelques dispositifs expérimentaux, l’on tire souvent de riches et importants savoirs. Mais le monde universitaire était jusqu’à il y a peu à la traîne sur ces questions. A vrai dire, aucun travail d’ampleur n’avait jamais été mené sur le sujet. Il y avait un vide à combler. D’où l’importance d’un livre collectif paru récemment sur le sujet, sous la direction de Marwan Mohammed (sociologue, chercheur au CNRS, membre du conseil scientifique de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux en région PACA).
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Changer de style de vie
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Commençons par lire la contribution de M. Mohammed lui-même, assurément l’une des plus riches du volume. Auteur d’une thèse sur les bandes de jeunes, l’auteur s’est demandé ce que devenaient ses enquêtés quelques années plus tard. Il a ainsi réalisé des entretiens avec 57 anciens membres des bandes, âgés de 23 à 39 ans, rencontrés sur trois quartiers franciliens. Comment ceux-là s’en sortent-ils ? Dans leur lent processus de reconversion à un nouveau style de vie, trois éléments sont déterminants.
1 – l’emploi. C’est – qu’on le veuille ou non – la clef principale. Un emploi stable est impératif pour assurer un minimum de ressources économiques. La situation est naturellement rendue extrêmement compliquée dans le contexte actuel. Et même lorsqu’une opportunité se présente, l’expérience peut être douloureuse, en particulier lorsque le patron, au courant du passé du jeune, le lui rappelle et l’humilie de diverses manières. C’est pourtant la première clef, d’autant que, au-delà des ressources économiques, le travail impose aussi un rythme de vie et permet de s’ouvrir vers d’autres réseaux.
2 – la mise en couple. Les jeunes délinquants ont eu de nombreuses expériences sentimentales et sexuelles mais ils découvrent ici de « vrais sentiments », ils expérimentent une relation durable qui est aussi pour eux source d’encouragements et de réintégration familiale. La paternité viendra ensuite le plus souvent couronner cette nouvelle situation. Dès lors, ultime confirmation et réassurance, la délinquance ce sera « terminé pour moi », dira désormais le jeune adulte.
3 – la conversion religieuse. Dans certains cas, au fil de rencontres, le processus de sortie de la délinquance s’accompagne d’une conversion religieuse qui procure de l’apaisement psychologique personnel, qui rythme le temps quotidien, qui réconcilie avec la lecture. L’endossement du rôle social du religieux pratiquant a de surcroît l’avantage de donner une bonne image dans le quartier, parfois de réconcilier avec la famille, parfois aussi de permettre de conserver une dimension de rébellion dans son style de vie, compte tenu de la diabolisation générale de l’Islam dans la société française.
Au final, répétons-le, le chercheur montre bien que l’emploi reste la question centrale : « malgré un rôle indéniable, les familles, les pairs, les acteurs institutionnels qu’ils soient bénévoles ou professionnelles, sont suspendus à cette possibilité d’inclusion sociale ». Et c’est aussi ce qui fait la différence avec les époques antérieures. Au temps des « Blousons noirs » (année 1960), les sorties de bande s’effectuaient au début de la vingtaine. Les jeunes garçons partaient faire leur service militaire puis entraient à l’usine ou à l’atelier, et la jeunesse délinquante avait passé. De nos jours, la situation du marché de l’emploi est telle que l’on assiste à un recul de l’âge de sortie de la délinquance, un vieillissement de la délinquance.
Laurent Mucchielli
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