Ce n’est pas trop dans leurs habitudes, mais il y avait urgence. Lundi matin, quelque 249 universitaires, pour l’essentiel des professeurs de droit, avaient signé une pétition pour que le droit du travail s’applique enfin en prison.
« En prison, il y a des détenus qui travaillent. Il n’y a pas de droit du travail, constatent les signataires. Faut-il encore une fois rappeler que, dans la peine d’emprisonnement, la seule punition prévue par la loi est la privation de liberté ? »
Cette pétition a été rendue publique lundi 14 septembre, à la veille de l’audience du Conseil constitutionnel, saisi par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de l’Observatoire international des prisons (OIP). Et c’est, pour les universitaires, « une occasion historique de revenir sur ce déni de droit ».
Le droit du travail en prison est en effet tombé dans un trou noir. La loi pénitentiaire de 2009 prévoit que le travail des détenus est soumis à « un acte d’engagement », et le Conseil constitutionnel a estimé, le 14 juin 2013, que ce n’était pas un contrat de travail, et qu’il ne donnait donc pas lieu aux garanties qui y sont liées.
« Nous ne demandons pas un revirement de jurisprudence, explique Nicolas Ferran, juriste à l’OIP. Le Conseil constitutionnel n’a pas validé le statut du travail en prison : il ne l’a pas examiné. Nous lui demandons aujourd’hui de statuer sur la constitutionnalité de ce statut. »
Le Parlement a jusqu’ici délégué à l’administration le soin de gérer le travail en détention. Or, « il incombe au législateur d’assurer la mise en œuvre des principes économiques et sociaux du préambule de la Constitution de 1946 », a rappelé le Conseil le 12 janvier 2002. Le fameux préambule, fort généreux, est bousculé de tous côtés en détention – et pas seulement en détention. L’alinéa 5 dispose ainsi que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Chacun, et donc chaque détenu.
Pourtant en prison, c’est le chef d’établissement qui décide qui aura le droit de travailler, les critères d’attribution d’un emploi « ne sont ni définis, ni même seulement encadrés », relève la QPC. Ils n’ont d’ailleurs pas grand-chose à voir avec les compétences professionnelles des prisonniers, mais bien plutôt avec une gestion paisible de la détention et du maintien de l’ordre.
Tous ceux qui veulent travailler ne le peuvent pas, et ceux qui travaillent – « les détenus classés » – sont loin de travailler tous les jours. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a calculé qu’en février et mars 2011 « une moyenne quotidienne de 52 % des personnes classées a été effectivement appelée au travail ».
« Risque de mouvement collectif »
L’alinéa 6 du préambule de 1946 n’est pas mieux respecté : « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale ». Le détenu qui a signé la QPC sait de quoi il parle : il a été déclassé parce qu’on lui reprochait des « revendications (…) sur ses conditions de travail », qui « peuvent s’entendre sur le fond », a reconnu le juge administratif, mais qui, soutient le centre de détention, « l’amène à se poser, malgré lui, en un leader de la contestation » et provoquer un « risque de mouvement collectif ».
Le droit de grève, prévu par l’alinéa 7 du préambule, est tout aussi ignoré ; tout comme le 8e, qui prévoit que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination des conditions de travail ». Le 11e alinéa impose que « tout être humain (…) qui se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Or, on touche en prison entre 20 et 45 % du smic, soit, après les prélèvements, entre 218,70 et 388,80 euros par mois – dans l’hypothèse où le détenu travaille tout le mois. Le contrôleur général a relevé qu’un détenu susceptible de toucher les 388 euros ne percevait en fait que 106,30 euros, faute de pouvoir travailler tous les jours. Une situation d’autant plus difficile que « les détenus se recrutent encore massivement dans la partie la plus pauvre de la population ».
Les détenus, enfin, ne touchent rien en cas d’arrêt maladie – alors qu’ils cotisent –, rien en période de chômage, et n’ont quasiment pas de retraite. Un détenu de 62 ans qui a travaillé vingt et un ans au « service général » (distribution des repas) s’est vu assurer une retraite de 22,40 euros brut par mois. Il est ainsi constant que « les personnes détenues sont privées purement et simplement de l’intégralité des droits constitutionnels protégés par le préambule de la Constitution de 1946, doit plaider Me Patrice Spinosi pour la QPC, ce qui ne saurait être toléré par le Conseil constitutionnel ».