L’état d’urgence, en vigueur depuis samedi 14 novembre sur tout le territoire métropolitain et la Corse, donne aux préfets des pouvoirs très étendus – notamment la possibilité de décider des perquisitions extra-judiciaires.
Mais leur action doit s’inscrire dans un cadre très précis pour ne pas être contesté devant les juridictions administratives. Surtout, la machine judiciaire, par l’intermédiaire des parquets et de la police judiciaire, doit être associée pour éviter les éventuels vices de procédure. L’objectif est d’éviter les couacs susceptibles de déboucher sur des annulations, ne serait-ce que partielles, des procédures.
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Dès samedi, Bernard Cazeneuve et Christiane Taubira ont envoyé les consignes à mettre en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence tel que défini par la loi de 1955, sans attendre son éventuelle modification législative à venir. Le ministre de l’intérieur a adressé aux préfets une circulaire très détaillée rappelant les conditions dans lesquelles ils peuvent décider des mesures de couvre-feu, d’interdiction de manifestation, de perquisition administrative ou d’interdiction de séjour.
Les mesures d’assignation à résidence, que l’état d’urgence permet de prononcer à l’encontre des personnes « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics », relèvent en revanche de la compétence exclusive du ministre de l’intérieur.
Simultanément, la ministre de la justice a écrit aux procureurs généraux et aux parquets. Les perquisitions administratives sont autorisées pendant toute la durée de l’état d’urgence qui suspend ce que la Convention européenne des droits de l’homme considère comme une atteinte au droit à la vie privée. Néanmoins, « ces perquisitions devront être exécutées en présence d’un officier de police judiciaire », écrit la garde des sceaux. Ce qui « offre la garantie que puissent être effectuées les saisies auxquelles ceux-ci sont seuls habilités à procéder ».
Des mesures « proportionnées »
Surtout, ces perquisitions doivent être décidées « personnellement », soulignent les deux ministres dans leur circulaire respective, par le préfet : il doit en préciser « l’objet, les lieux et le moment ». Les procureurs du lieu concerné doivent être informés « sans délai » de la décision du préfet. Mais ce n’est qu’a posteriori, contrairement à ce qui se passe en temps normal, qu’une information judiciaire est ouverte. Encore faut-il que des faits pénalement répréhensibles soient constatés lors des perquisitions.
Les parquets sont par ailleurs mobilisés par Mme Taubira pour engager des poursuites à l’égard des personnes qui ne respecteraient pas les mesures exceptionnelles de l’état d’urgence. La ministre précise que des gardes à vue peuvent être décidées pour toute personne qui circulerait « dans les lieux et aux heures interdits », ou qui violerait la fermeture des salles de spectacle. Ces délits, prévus par la loi de 1955, sont passibles d’une peine de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende, au même titre que le refus de remise des armes. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel, mais la garde des sceaux rappelle que « d’autres modes de poursuites rapides » existent, comme le placement sous contrôle judiciaire.
Reste à savoir jusqu’où les préfets porteront le curseur des dispositions exceptionnelles. M. Cazeneuve leur rappelle que les mesures qu’ils prendront doivent être « nécessaires et proportionnées à l’importance des troubles ou de la menace qu’il s’agit de prévenir ».
Jean-Baptiste Jacquin, Journaliste