Un détenu par cellule : comment appliquer une loi de 1875

POURQUOI CE RAPPORT ?

Inscrit dans la loi depuis 1875, le principe «un détenu, une cellule» est piétiné depuis plus d’un siècle par les gouvernements de droite comme de gauche. Il faut attendre l’an 2000 pour que la garde des Sceaux Elisabeth Guigou rappelle les pouvoirs publics à leurs engagements. La ministre socialiste prévoit cependant un délai de trois ans avant la mise en œuvre effective de l’encellulement individuel. De report en report, nous voilà en 2014. Théoriquement, le moratoire expire le 25 novembre. Christiane Taubira, à son tour, espère obtenir sa prolongation. Sauf que Jean-Jacques Urvoas, président socialiste de la commission des Lois, ne l’entend pas ainsi. A ses yeux, un nouveau moratoire «porterait atteinte à la crédibilité du Parlement, dont la vocation ne saurait être de voter des dispositions inapplicables».

Pour sortir de cette «impasse», Jean-Jacques Urvoas y va de son «rapport d’information». Dans le même temps, le Premier ministre, Manuel Valls, confie une mission au député PS Dominique Raimbourg. Objectif : «Etudier la capacité de l’administration pénitentiaire à mettre en œuvre un encellulement individuel progressif.» Après trois semaines de travail, l’élu de Loire-Atlantique a remis ses conclusions mardi à Christiane Taubira.

QUE PROPOSE-T-IL ?

Dominique Raimbourg dresse un état des lieux de la situation carcérale, avant de formuler 24 préconisations. Premier enseignement : le 28 octobre dernier, sur 66 522 personnes détenues, seules 26 341 étaient hébergées seules (39,65%). Si un certain nombre de cellules individuelles sont inoccupées (3 724), la capacité d’accueil reste nettement insuffisante. Tout d’abord en raison de la surpopulation carcérale (114,5%) : il manque aujourd’hui 8 440 places dans le parc pénitentiaire français. La situation dans les maisons d’arrêt, qui accueillent notamment les prévenus en attente de jugement, est la plus sensible. Il y manque pas moins de 17 592 places, ce qui oblige à installer dans les cellules des lits au-delà de la capacité opérationnelle, voire à disposer des matelas au sol.

Si un nouveau moratoire de cinq ans devrait être décidé, Dominique Raimbourg espère en finir avec «l’application très molle de la loi». Il fixe trois étapes pour qu’en octobre 2022, «le strict respect de l’encellulement individuel» soit atteint. Un taux de 80% de places individuelles est envisagé, le reste étant réservé aux personnes souhaitant partager leur cellule ou trop fragiles psychologiquement pour être seules.

Le député compte agir sur deux principaux leviers : le parc pénitentiaire et les aménagements de peine. Il souhaite que les nouveaux établissements censés être construits d’ici 2017 (3 200 places supplémentaires) respectent le taux de 80 % de cellules individuelles. Il espère aussi transformer les 2 271 cellules multiples (pour trois détenus ou plus) aujourd’hui existantes par des cellules simples. Un projet de reconstruction qui «ne pourra pas se faire au sein des seuls établissements actuels», reconnaît Dominique Raimbourg. Il formule aussi plusieurs mesures techniques : faciliter les aménagements de peine avant incarcération, augmenter les remises de peine pour les détenus faisant des efforts de réinsertion en établissement surpeuplé, fixer des seuils d’alerte de surpopulation par établissement qui déclencheraient une action pour y remédier…

EST-IL BIEN ACCUEILLI ?

Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons (OIP), est partagée. «Ce rapport reprend des bonnes idées, oui. Mais la question des courtes peines est peu posée, alors que c’est la solution. Si toutes les personnes condamnées à des peines de moins d’un an bénéficiaient d’un aménagement de peine comme le permet la loi, il y aurait plus de cellules en maisons d’arrêt que de détenus. Le problème serait réglé.» Elle regrette surtout que Dominique Raimbourg parte du principe que le taux d’incarcération actuel soit satisfaisant. «Une forme de résignation». Et puis, poursuit Marie Crétenot, quand on regarde le budget 2015, les crédits alloués sont loin des préconisations reprises dans ce rapport. Comme les 9% de baisse du budget des bracelets électroniques. «Il y a un décalage profond entre le discours politique et ce qui est fait. On ne voit toujours pas la rupture promise.»

Même prudence chez Céline Parisot, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats, majoritaire dans la profession. «L’objectif de 80% dépendra totalement des moyens affectés à la restructuration du parc pénitentiaire. Car on ne transforme pas comme ça une cellule pour trois détenus en une individuelle : il faut tout casser, et construire de nouveaux bâtiments.» Elle se félicite en revanche du «pragmatisme» de l’élu de Loire-Atlantique : «Il ne formule pas de solution miracle, et c’est tant mieux.» L’affectation d’un coefficient d’augmentation aux remises de peine si l’établissement est surpeuplé lui paraît intéressante. Tout comme l’accent mis sur les «primo-incarcérés», pour que ceux-ci soient effectivement logés seuls et ne s’endurcissent pas au contact de codétenus. Pierre-Victor Tournier, spécialiste de la statistique pénitentiaire, abonde : «Il y a dans ce rapport une gamme de propositions très diverses. Plus il y en aura de retenues, plus ça sera utile.»

Sylvain MOUILLARD et Marie PIQUEMAL

source : Libération.fr
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