Un nouveau dispositif de lutte contre la radicalisation est expérimenté depuis dix mois par l’administration pénitentiaire.
Il doit permettre le « désengagement de la violence extrémiste » de personnes poursuivies ou condamnées pour des faits de terrorisme.
Un nouveau dispositif de lutte contre la radicalisation est expérimenté depuis dix mois par l’administration pénitentiaire. / BortN66 – stock.adobe.com
Peut-on aider une personne à sortir de son idéologie violente ? Depuis le premier plan de lutte contre la radicalisation il y a trois ans, les pouvoirs publics butent sur cette question aussi sensible que cruciale, au regard de la menace terroriste.
Jeudi 9 novembre, l’administration pénitentiaire a dévoilé un nouveau dispositif, expérimenté depuis dix mois en Île-de-France et intitulé RIVE, pour « recherche et intervention sur les violences extrémistes ». Voici les contours de ce programme unique en Europe.
► À quoi sert RIVE ?
Le dispositif a un objectif : « permettre le désengagement de la violence extrémiste à travers un suivi pluridisciplinaire, individualisé, global et intensif ».
Pour cela, l’administration pénitentiaire travaille avec l’APCARS (1), une association qui a bâti un modèle de prise en charge, à partir des pratiques et expérimentations internationales, puis constitué une équipe composée de trois référents sociaux, d’un psychologue, d’un psychiatre et d’un référent religieux.
Le dispositif est fondé sur le tutorat : chaque personne suivie dispose d’un référent chargé d’établir un lien de confiance et de trouver les leviers pour l’aider à sortir de son idéologie violente.
► Quel public est concerné ?
Les personnes « sous main de justice » mais non détenues, poursuivies ou condamnées pour des faits de terrorisme ou repérées comme radicalisées, peuvent être concernées. Ces personnes ne sont pas volontaires pour participer au programme : c’est une obligation parmi d’autres décidées par le magistrat.
Le suivi est prévu pour durer au minimum un an, même si Géraldine Blin, cheffe de la mission radicalisation à la direction de l’administration pénitentiaire, estime qu’il faut cinq années pour consolider un désengagement.
Actuellement, 14 personnes, huit hommes et six femmes, sont prises en charge. Les deux tiers ont moins de 25 ans. Dix sont poursuivies et en attente d’être jugées, quatre ont été condamnées. Dix sont dans des dossiers d’association de malfaiteurs terroristes, donc potentiellement sérieux.
► Concrètement, comment cela se passe ?
Dans un premier temps, la personne et son « niveau de risque » de récidive sont évalués. L’équipe passe en revue les antécédents judiciaires, les fréquentations, la situation familiale, les croyances et valeurs… « Ces évaluations scientifiques permettent de voir sur quels facteurs on peut jouer pour entamer un désengagement de la violence », explique Samantha Enderlin, la directrice de RIVE.
Individualisé, le programme peut comprendre des entretiens, un suivi psychologique, des rencontres avec des chercheurs – en géopolitique, en histoire –, des sorties culturelles en lien avec l’immigration ou la religion, des rendez-vous avec le référent religieux… « L’enjeu est de relever les contradictions pour susciter des doutes, jamais de remplacer une croyance par une autre, précise la directrice. Il faut redonner à la personne une autonomie intellectuelle pour éviter les logiques de suiveurs. »
► Est-ce que ça marche ?
Une évaluation scientifique indépendante sera conduite en 2018 mais l’équipe a déjà des motifs de satisfaction. « Des personnes se réinsèrent socialement, d’autres nous font part de leurs doutes sur leur idéologie ou nous posent des questions, cite Samantha Enderlin. La confiance, déjà, est établie. »
Aucun incident n’a conduit à une réincarcération, mais l’équipe sait que le risque zéro n’existe pas : « C’est un public jeune, qui peut connaître des baisses de motivation importantes, il ne faut donc jamais les lâcher », explique Géraldine Blin. Dans le cas des personnes non jugées, il y a aussi un risque de manipulation, la personne pouvant feindre un désengagement pour obtenir une peine clémente (les rapports trimestriels de RIVE sont versés au dossier judiciaire).
► Combien ça coûte ?
« À terme, moins cher qu’une place de prison », répond Géraldine Blin, sans donner de montants. Elle sait que la question est sensible : le simple fait de suivre des personnes en lien avec le terrorisme en milieu ouvert peut faire débat. Alors leur consacrer de l’argent… « Je suis absolument convaincue qu’il vaut mieux un suivi soutenu en milieu ouvert qu’un ou deux ans en détention au milieu d’autres radicalisés », plaide la responsable qui justifie les moyens dépensés : « Ce qu’on veut éviter, c’est tout simplement la commission d’attentats. »
« À travers ce programme, la société s’empare du problème,relève aussi Frédéric Lauféron, le directeur général de l’APCARS. Au sein de nos activités, nous suivons des dizaines de victimes du terrorisme et c’est justement parce que nous savons ce qu’ils ont vécu que nous défendons ce projet. » Celui-ci a d’ailleurs suscité l’intérêt de la ministre de la justice : le nouveau plan de lutte contre la radicalisation, qui doit être annoncé début décembre, pourrait prévoir qu’il soit dupliqué dans d’autres régions.