Une juge en immersion dans une prison de femmes

« Le juge doit pouvoir regarder droit dans les yeux la personne condamnée : cela relève de l’humanité même de l’acte de juger. » La juge Isabelle Rome, conseillère au sein d’une chambre correctionnelle de la cour d’appel de Versailles, ne se contente pas de défendre en parole sa vision d’une justice humble et consciente de ses propres limites. Elle lui donne corps. Ainsi, celle qui a « prononcé, en collégialité, des centaines d’années de prison » a décidé de s' »immerger » dans le huis clos carcéral. Pendant presque un an, Isabelle Rome a poussé les portes du « sombre et vétuste édifice » de la maison d’arrêt des femmes de Versailles pour aller à la rencontre de Natacha, Soumia, Valérie, Poulomi, Summer et d’autres parmi la petite soixantaine de femmes incarcérées dans cet ancien pensionnat transformé en prison pour femmes en 1789. Une démarche libre et spontanée, en cela inédite. « J’ai voulu voir de mes propres yeux, à l’écart des visites collectives, formelles et trop scolaires, comment les décisions de justice étaient ressenties derrière les barreaux », confie-t-elle.

Mère en prison : mission impossible 

De ses entretiens quasi quotidiens avec les pensionnaires de l’établissement, mais aussi avec les surveillantes, cadres et conseillères pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), celle qui a exercé successivement les fonctions de juge de l’application des peines (JAP) et juge des libertés et de la détention (JLD) a pris le pouls quotidien de la détention, qu’elle décrit dans son dernier ouvrage préfacé par Robert Badinter Dans une prison de femmes *. Elle y consigne, avec une délicate empathie, les errances du regard que les détenues portent sur elles-mêmes, sur l’acte auquel elles doivent leur incarcération, sur leur temps de détention et leurs espoirs de réinsertion. La dépersonnalisation, la perte de féminité et les transformations physiques de ces femmes devant composer avec un corps en souffrance, mais aussi la douleur d’être coupées de leur famille et de leurs enfants, c’est tout cela qu’Isabelle Rome a vécu de l’intérieur.

Être une femme en prison est un défi de chaque instant. Être une mère est une « mission presque impossible ». Ce qui explique notamment que les femmes incarcérées, qui représentent moins de 4 % des détenus, souffrent plus que les hommes, avait pointé en 2009 le contrôleur général des prisons. L’exemple de Sophie est éloquent. Lorsqu’elle a été écrouée, en octobre 2012, pour l’exécution d’une peine de 30 mois prononcée en 2010, elle venait de mettre au monde un petit garçon. À l’âge de 10 jours, le bébé a été placé dans une pouponnière. Et pendant presque un an, il n’a vu sa mère qu’une heure par mois, au parloir. Dans « un box d’une superficie de 8 mètres carrés contenant quelques jouets en plastique ». Ainsi va la vie à la prison des femmes de Versailles, qui a pourtant la réputation d’être la « Rolls Royce » des établissements pénitentiaires d’Ile-de-France. Dans d’autres structures, les mères peuvent recevoir leur famille dans un appartement séparé de la détention, pour une durée de 6 à 72 heures. « En prison, l’injustice reprend ses droits », regrette Isabelle Rome.

Choc carcéral

Plus la peine est mise à exécution tardivement, plus le choc carcéral de ces jeunes mères est brutal. La magistrate se félicite donc de cette nouvelle disposition de la loi du 15 août 2014, qui prévoit que lorsque la peine (de deux ans maximum) n’a pas été mise à exécution dans les trois ans suivant son prononcé, la personne est convoquée devant le juge de l’application des peines « afin de déterminer les modalités d’exécution de sa peine les mieux adaptées aux circonstances, à sa personnalité et à sa situation matérielle, familiale et sociale ». La fonction éducative de la prison, Isabelle Rome avoue y croire encore. D’autant que plusieurs détenues lui ont confié avoir, dans ce lieu isolé et contraint, « fait la paix avec elles-mêmes ». La magistrate reste néanmoins convaincue que la prison doit retrouver sa place dans la cité. « Elle ne doit pas se réduire à l’ouverture et la fermeture des portes. Elle ne doit pas être un lieu d’exclusion ni de déconnexion du monde extérieur », assure-t-elle. Et de proposer d’assouplir les permissions de sortie des mères et des pères incarcérés pour rendre visite à leurs enfants. « Car il en va de leur responsabilité en tant que parent », précise la magistrate, qui est aussi fondatrice de l’association Femmes de liberté qu’elle a fondée en 2002.

Partisane d’un « accès limité à Internet pour favoriser l’enseignement à distance et l’accès à la culture », elle suggère aussi de « développer des partenariats avec des universités et des entreprises, et de renforcer le suivi psychiatrique et psychologique » qui fait cruellement défaut notamment dans les grands établissements. Elle insiste aussi sur l’importance d' »intégrer davantage dans la cité le personnel pénitentiaire dont l’expertise en matière de relations humaines » est un précieux atout. Tout au long de son livre, elle rend hommage à ces « matonnes » qui ont à coeur d’encadrer ces femmes auxquelles elles s’identifient forcément un peu. À l’issue de ce voyage de l’autre côté du mur, Isabelle Rome ne regardera plus jamais comme avant les ors étincelants du château qui trône à quelque 300 mètres de la prison d’où l’on ne fait que les deviner, faute de pouvoir les contempler.

Dans une prison de femmes, Isabelle RomeÉditions du moment, 16,95 euros.

Par 

source : lepoint.fr
Partagez :