Atricle de Samuel LAURENT publié le 25.01.11 sur lemonde.fr
L’expression « un fait divers = une loi », souvent employée pour critiquer la politique sécuritaire du gouvernement, va-t-elle se vérifier à nouveau ? A la suite de la disparition d’une jeune femme à Pornic (Loire-Atlantique), qui aurait été tuée par un délinquant sexuel récidiviste, Nicolas Sarkozy a demandé, mardi 25 janvier, à son gouvernement d’agir.
Lors d’une visite à Saint-Nazaire, le chef de l’Etat a estimé que l’affaire ne pouvait pas « rester sans suite ». « Je veux vous dire que la récidive criminelle ne peut rester impunie », a lancé Nicolas Sarkozy. « Ce n’est plus possible, ce n’est tout simplement plus possible, c’est inacceptable ». Il aurait par ailleurs demandé à sa majorité, en marge d’un déjeuner, de prendre « des initiatives ».
Christian Estrosi ne se l’est pas laissé dire. A peine connue la déclaration présidentielle, et alors que les conclusions de l’enquête n’ont pas encore été rendues, il annonçait son souhait de constituer « au plus vite une mission d’information sur l’amélioration de la procédure à l’égard des délinquants multirécidivistes ».
« Notre devoir est de nous demander : comment est-il possible que les dispositions en vigueur ne mettent pas un multirécidiviste condamné quinze fois hors d’état de nuire ? », a interrogé le député-maire de Nice. Question pertinente : en six ans , pas moins de cinq lois ont été votées sur la question de la récidive des délinquants sexuels, la plupart à l’initiative de Nicolas Sarkozy.
La loi Perben II ouvre le bal, en mars 2004. « Portant sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité », elle met en place un fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles.
Elle est immédiatement suivie de la loi du 12 décembre 2005, survenue après deux affaires de viol dont s’était emparé Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, demandant, à propos d’un des criminels, « comment l’Etat peut-il relâcher un tel monstre ? ». La loi élargit la notion de récidive, limite le nombre de sursis, renforce le fichier national des délinquants sexuels, qui peuvent demander des médicaments limitant la libido, et permet la « surveillance judiciaire » de certains prisonniers après leur peine grâce au bracelet électronique.
Moins de deux ans plus tard, en 2007, alors que les décrets d’application de la loi précédente n’ont pas encore été publiés (ils ne le seront totalement qu’en 2009), le gouvernement ouvre une nouvelle fois le chantier de la récidive. Cette fois, il s’agit de fixer des peines plancher pour les délinquants récidivistes. Les délinquants sexuels peuvent en outre être astreints aux soins. C’est la loi Dati, adoptée le 11 août 2007. Le même mois, une affaire de pédophilie conduit Nicolas Sarkozy, devenu président de la République, à promettre « des lois plus sévères » contre les criminels sexuels récidivistes.
C’est chose faite en 2008. Nicolas Sarkozy demande à Rachida Dati une mesure permettant de continuer à surveiller certains types de délinquants dangereux même après leur peine. La loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental est votée en février 2008, au terme d’une polémique entre le chef de l’Etat et le Conseil constitutionnel, qui a refusé d’en rendre l’application rétroactive. « Ce qui est important pour moi, c’est qu’on ne laisse pas des monstres en liberté après qu’ils ont effectué leur peine », lance Nicolas Sarkozy.
L’année suivante, en 2009, à la suite d’une nouvelle affaire impliquant un criminel sexuel récidiviste, Nicolas Sarkozy juge qu’il y a une « nécessité absolue de poursuivre l’action entreprise en matière de lutte contre la récidive ». Brice Hortefeux et Michèle Alliot-Marie travaillent à une nouvelle loi, qui sera votée le 11 mars 2010. Elle vise à améliorer la précédente, introduisant la possibilité de « castration chimique » d’un délinquant sexuel récidiviste, et renforçant une troisième fois le fichier national de ces délinquants.
Selon la commission de contrôle d’application des lois du Sénat, aucun décret d’application du texte du 11 mars 2010 n’a encore été publié au Journal officiel à la date du 25 janvier 2011. Peut-être une réponse à la question de M. Estrosi sur le manque d’efficacité « des dispositions en vigueur ». Quant aux autres lois, la plupart des spécialistes estiment qu’il faudra plusieurs années avant de pouvoir évaluer leur efficacité, à l’instar des peines plancher.
Plusieurs députés UMP ont d’ailleurs fait montre d’un certain manque d’enthousiasme. Leur chef de file, Christian Jacob, proche de Jean-François Copé, a fait part de son opposition à « toute loi d’opportunité », assurant toutefois vouloir mettre en place un groupe de travail d’ici mai.
Son vice-président, le centriste Jean Leonetti, a estimé pour sa part que « l’indignation est unanime, mais nous ne devons pas avoir une réaction législative immédiate ». Il plaide pour « une position plus globale et plus apaisée que le fait d’essayer de réagir et de trouver un coupable même s’il y a eu une défaillance dans le système ».